J'écris cette note suite à ce témoignage.
Depuis les vagues de suicides chez France Telecom et chez Renault, on commence à parler de stress, de surmenage, de dépression, de burn-out... Avant, on pensait que les pathologies liées au travail étaient réservées aux ouvriers. Le cadre est dans un bureau, au calme et comme il est bien payé, il n'a pas de problèmes de fins de mois. Donc, il ne peut pas souffrir, non? Ce n'est que récemment qu'on prend en compte les facteurs de stress des cadres : objectifs impossibles à atteindre, menaces de licenciement, harcèlement moral... Sans compter les facteurs conjugaux et extra-professionnels, car un employé ne laisse pas ses problèmes personnels à l'entrée de l'entreprise, le matin. De même qu'il ne laisse pas ses problèmes professionnels sur son bureau, le soir. Ainsi, face à un situation stressante, chacun est plus ou moins armé. Et certains craquent.
Au cours de ma déjà longue carrière, j'en ai vu, des personnes imploser. J'ai vu une femme perdre 10 kilos en un mois. J'ai vu une intérimaire, harcelée en permanence, démissionner en pleurant. J'ai vu des alcooliques, dont l'alcool servait d'auto-médication. Un ancien collègue, ne supportant pas d'être en arrêt-maladie, s'est suicidé. Personnellement, je n'ai jamais eu de burn-out. Une fois, j'ai eu de
gros problèmes personnels. Je me réveillais en pleine nuit. Je me
mettais à pleurer pour un rien. J'avais l'impression d'étouffer. Au
travail, un jour, j'ai eu un blocage. J'étais pétrifié devant mon
écran. Pour une fois, perdre mon emploi a été une chance. Ça m'a permis de prendre du recul. De me déconnecter avant de péter un câble.
Le premier problème, c'est que le salarié n'ose pas évoquer ses soucis et agir en conséquence. Le fait de ne pas arriver à gérer le stress quotidien est vécu comme un échec supplémentaire. De mémoire, je n'ai vu qu'une seule fois un salarié, récemment promu chef d'équipe, avouer que manager le stress et reprendre son ancien emploi. Beaucoup ont tendance à minimiser cela, à dire qu'ils "se sont levé du mauvais pied". D'autres ont tout simplement peur qu'on les licencie si on découvre leurs faiblesses (ce qui est parfois le cas.) Perdre son emploi est considéré comme le pire scénario, donc on préfère s'enfermer dans ses problèmes.
Le second, c'est la couardise des collègues et responsables. Le monde du travail est un monde égoïste. Dans La crise, Coline Serreau explique à Vincent Lindon que ses problèmes de séparation et de chômage, c'est triste, mais les autres ont davantage de soucis ! Circulez, il n'y a rien à voir. Vos collègues ne veulent pas avoir à faire à des problèmes trop personnels, trop intimes.
Quant aux responsables, ils veulent éviter à tout prix les confrontations. Face aux doléances, c'est souvent du "si t'es pas content, la porte est ouverte". On ne cherche pas non plus à désamorcer les conflits interpersonnels. La politique de l'autruche est la règle. J'ai connu une chef de service qui exigeait des assistantes jeunes et jolies, pour mieux les harceler (au moins moralement) ensuite. C'était de notoriété publique. Elles démissionnaient au bout de quelques semaines, parfois en pleurs (voir plus haut.) Mais on continuait de lui fournir de la chair fraiche. Dans une autre entreprise, mon prédécesseur ne supportait plus la comptable (dont le bureau était mitoyen.) Cette dernière passait ses journées au téléphone (pour des appels personnels, évidemment.) Un jour, il a craqué et il a voulu la poignarder avec des ciseaux. L'assaillant a été viré (d'où mon arrivé) et la comptable continuait ses interminables coups de fils personnels.
En théorie, les RH sont là pour assurer le service après-vente du personnel. S'il y a bien des gens chargés de détecter et de traiter le stress, ce sont eux. En pratique, ils sont souvent méprisants ou incompétents. "On peut rien faire pour vous. Par contre, si votre médecin vous préscrit un arrêt-maladie, il ne faudra pas oublier de nous l'envoyer."
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