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mercredi 27 octobre 2021

Qui sumus ?

Faisons une pause dans cette série sur les inégalités hommes-femmes.

Dans The Navigator, on voit le bureau des héros changer deux fois d'enseignes. Certains secteurs sont en ébullition permanente. Les groupes se rachètent, fusionnent. Ou bien au contraire, ils cèdent tel activité. J'ai connu plusieurs entreprises qui avaient ainsi changé trois, voire quatre fois de raison sociale sur les cinq dernières années ! 

Souvent, ces changements sont synonymes de déménagements, de reconversion industrielle et de plans sociaux. Comme dans The Navigator, à chaque nouvelle enseigne, il y a des slogans et un discours ronflant. En pratique, rien ne bouge. Du moins, rien ne bouge dans le bon sens. Lors d'une tournée ds sites, je suis ainsi tombé sur un atelier de SAV, qui portait encore les couleurs de l'entité en 2000. Certaines portions du site étaient en ruine et les employés avaient clairement l'impression d'être oublié.

Plus généralement, dans ces entités qui changent de mains, les gens sont désabusés. Ils voient défiler les PDG et les plans. Un jour c'est blanc, le lendemain, c'est noir. Parfois, les embauches sont gelées pendant n mois. Les employés sont remplacés par des prestataires. Par contre, les postes des managers restent vacants, faute de budget. D'où des managers "acting", soi-disant provisoirement.
Comment être motivé, dans ce contexte ? Vos objectifs actuels seront peut-être modifiés du tout au tout, dans six mois. Votre N+1 n'en sait pas plus que vous sur l'avenir, d'ailleurs, il est peut-être déjà en train de négocier son départ. Les prestataires, eux, n'assurent que le day-to-day et ils finissent par devenir interchangeables. Lorsque le provisoire dure, les internes deviennent minoritaires. Un cercle toujours plus restreint, entre les départs en retraite anticipés, les burn-out et les démissions/licenciements. Le télétravail renforce cet isolement, alors que le liens avec vos collègues se limite à des réunions Teams.

Les politiciens, de droite comme de gauche, réduisent le travail à une feuille de salaire, le 31. Mais l'entreprise, c'est aussi un mythe, une culture, auquel le salarié adhère. C'est une communauté de personnes. On n'aime les règles du jeu ou pas, mais au moins, les règles sont gravées dans le marbre.
Dans l'entreprise instable, tout ceci vole en éclat. Et c'est comme cela qu'en quelques années, une entreprise florissante devient complètement moribonde.

lundi 6 avril 2015

Le menteur grillé

Beaucoup de chômeurs mentent à leurs proches. Ce n'est jamais facile d'annoncer qu'on est au chômage. Surtout qu'en retour, on obtient de la pitié ou de la condescendance. Les plus radicaux et les plus mythomanes ne le disent même pas à leurs conjoints, quitte à s'enfermer dans des situations inextricables. Mais beaucoup se contentent de cacher leur chômage aux gens qu'ils fréquentent peu. Si on les questionne, ils répondent avec des banalités sur leur dernier job. 
Là où le chômeur se trahie, c'est sur les jours fériés. Pour le chômeur, les semaines, les mois et même les saisons existent à peine. Rien ne ressemble plus à un jour de semaine qu'un autre jour de semaine. Les jours à date fixe (1er mai, 14 juillet...), c'est facile. Mais sur le lundi de Pacques ou le jeudi de l'Ascension, le chômeur bute. "Mon boulot, ça va. Lundi, je vais avoir une grosse réunion et... - Le lundi de Pacques ? - Euh..." Voilà, la couverture vole en éclat.

jeudi 19 mars 2015

Mon nom est perso

Parfois, les entreprises recrutent plusieurs personnes en même temps. Pour les petits boulots et autres jobs saisonniers, bien sûr. Mais aussi, dans les grandes entreprises, notamment lorsqu'elles lancent un nouveau projet. Vous faites alors parti d'une équipe de juniors, la fleur au fusil. Un petit boulot, c'est très usant. La camaraderie permet de faire passer la pillule. Votre chef dit que votre groupe, au moins, c'est un groupe soudé...


Sauf qu'une fois que le chef a le dos tourné, c'est autre chose. Première déconvenue : non, tout le monde n'a pas signé le même contrat. Lors du recrutement, le RH vous avait dit qu'il ne pouvait pas vous accorder un euro de plus ; c'était tant par personne, point. En pratique, à qualifications égales, certains touchent plus ou bien, ils ont un contrat plus stable.
Très vite, l'un des collègues s'autoproclame délégué. Un clan de gens "cools" se forme, comme au lycée. Ce clan prend les commandes. C'est lui qui décidera qui mérite d'être invité à l'after-work. Si l'un d'eux sèche, les autres font bloc pour le couvrir. Comme au lycée, le(s) déviant(s) sont marginalisés, voir bizutés. Entre les deux, les gens ne mouftent pas. C'est le prix à payer pour être invité à l'after. Tant pis s'il faut bosser deux fois plus parce que l'un des "cools" fait souvent le mur.
Et vous avez aussi le "company drone". Il suit à la trace le chef. Tout ce qu'il dit sera paroles d'évangiles pour le company drone. Et bien sûr, il passera son temps à fayoter, quitte à affabuler. Parfois, le groupe des cools le fuit comme la peste, car sa capacité de nuisance est forte. Mais souvent, c'est l'un des cools, voir leur chef : il dénonce les déviants, mais comme il est intouchable, il fait ce qu'il lui plait.
En tout cas, l'unité n'est qu'une façade. Chacun tire la couverture à lui.


A la limite, ce genre de comportement se justifie lorsqu'il y a un enjeu (passage en CDI, promotions...) et qu'il n'y en aura pas pour tout le monde. Le "company drone" et le "chef des cools" sont souvent des Rastignac débutants (et pleins d'avenir.) Les responsables aiment bien que des personnalités émergent. Même si ce sont avant tout des fouteurs de merde. Cyniquement, les responsables se disent que les têtes de turc l'ont un peu cherché, qu'elles n'ont qu'à se défendre. Surtout, beaucoup de gens sont incapables de faire la police ou d'aller au conflit. Y compris face à un gamin qui a le verbe haut. Au pire, ils le vireront discrètement, en le prévenant au dernier moment (par peur des représailles.)
Mais lorsqu'il n'y a pas de possibilité d'évolution (ni même une prolongation de contrat), ça devient juste de la méchanceté gratuite. Très vite, l'équipe se délite. Les afters mobilisent de moins en moins, puis elles finissent par disparaitre. Les gens ne se parlent plus que lorsqu'ils ont un service à demander. Le "company drone", à force de balancer des rumeurs (et de tuyauter le chef) finit par pourrir l'ambiance. Le chef des cools ? Il est fréquemment le premier à quitter le navire, car il est appelé ailleurs. Le clan des "gens cools" est fissuré. Les personnes restantes en sont réduites à trainer avec des gens "pas cools", faute de mieux.

jeudi 1 janvier 2015

Réveillon(s)

Voilà, nous sommes désormais en 2015.

Pour un chômeur, toute fête est difficile. D'une part, parce que cela signifie des dépenses, alors que son budget est serré. De plus, ça lui rappelle que le temps passe. En regardant les images de réveillons dans les centres d'aides aux plus démunis, il se dit : "Peut-être qu'un jour, je serais là..." Bien sûr, comme à chaque réunion, on lui renvoi à la figure son statut de chômeur. Les autres ont des projets pour la nouvelle année. Lui, tout est suspendu à "trouver un travail".

A contrario, celui qui vient de retrouver un emploi est heureux. Il n'a plus honte d'affronter le regard des autres. Au contraire : il veut crier à la face du monde qu'il a un boulot ! Ca y est ! Il n'est plus dans les statistiques de chômeurs ! Certains vont jusqu'à commencer leurs phrases par "dans mon nouveau boulot..." Cela fait quelques jours qu'il travaille, mais il parle de sa boite et de ses collègues comme s'il était un vieux briscard. Et lorsque tout à l'heure, il a reçu un mail d'alerte concernant des offres d'emploi, ça lui a semblé loin... Qu'importe l'incertitude de passer la période d'essai/que son CDD soit prolongé, qu'importe aussi la longue attente de la première vraie fiche de paye. Ce qui compte, c'est de retrouver une place dans la société.

lundi 29 décembre 2014

Pok-pok-pok-poker face

On est en pleine saison des repas de noël et autres "fêtes de fin d'année". Ca devrait être un moment de fête et d'amitié. En pratique, c'est rarement un moment agréable. En fait, on est à la frontière entre vie privée et vie professionnelle. C'est censé être un repas différent des midis habituels à la cantine. La plupart des entreprises payent le resto, voir louent une salle. Parfois, il y a lieu le week-end ou en soirée ; donc hors des heures de bureau. Sans oublier les "arbres de noël" avec conjoints et enfants.

Mais malgré tout, vous êtes avec votre chef et vos collègues. Le responsable n'hésitera pas à se comporter en chef de famille. Pas question de boire comme un trou ou de commander du foie gras : ça sera noté sur votre bilan annuel ! Et bien sûr, le cas échéant, vous devez surveiller vos enfants... Souvent, la discussion tournera autour du travail. Surtout s'il y a plusieurs cadres dirigeants à table.
Le pire, c'est la fin de repas. S'il a lieu pendant les heures de bureau, pas de problème : le chef sonnera la cloche et chacun est prié de retourner à son poste. Sinon, vous êtes bons pour de longs silences ; personne n'a envie d'être le premier à partir. Parfois, l'alcool aidant, les vieilles rancœurs entre collègues font surface. J'ai vécu un repas qui s'est terminé par deux collègues qui en venaient au main. La société n'a plus fait de repas de noël ensuite.

jeudi 7 août 2014

Chômage estival

L'été, le chômeur est heureux. Pourtant, son quotidien est plus déprimant que d'habitude, surtout en août.

Pas un coup de téléphone, pas un mail. Toutes ses "pistes" sont parties en vacances. Les sites d'emploi sont cliniquement morts : les dernières annonces remontent au 30 juin. Dans les journaux, les offres tiennent sur une unique page. De toute façon, qui lancerait un recrutement, alors que la plupart des interlocuteurs sont absents ? Regardez la TV ou le web ? Les sites d'infos parlent surtout de bronzette à la plage, de festivals ou de sites à ne pas manquer. Ah, les vacances... Le chômeur rêverait d'en prendre. Le temps libre, ce n'est pas ça qui lui manque ! Et puis, ça fait toujours du bien de changer d'air... Sauf que son compte en banque, lui, ne veut pas.
Donc la journée est bien longue. Il n'y a rien à faire à part lézarder. Les plus courageux se trouvent une activité (ce qui est d'autant plus compliqué que clubs et associations sont aussi en vacances.) Mais la plupart se contentent de vider le frigo ou le bar. Avec cette chaleur, on est vite déshydraté et en sueur. Manger un morceau ou boire un verre, ça permet de tuer le temps. Avec le risque de devenir obèse ou alcoolique à terme.
Si le chômeur est en couple avec quelqu'un qui travaille, des tensions peuvent apparaitre. Lorsque le conjoint revient le soir, l'autre n'a pas bougé. Il n'a rien fait du tout. Il s'est vautré dans sa paresse toute la journée, tel un cochon dans la fange! L'autre ne fait rien, parce qu'il n'y rien à faire. Oui, mais malgré tout, le conjoint a l'impression que l'autre est volontairement au chômage. Qu'il y restera toute sa vie et que ça lui convient. Ce n'est pas un hasard si le chômage d'un des deux membres provoque souvent un divorce...

mercredi 23 juillet 2014

Voilà l'été !

C'est toujours plus agréable d'être au chômage l'été que l'hiver.

Que vous ayez, ou pas, des "pistes", les fêtes de fin d'année sont la pire période du chômeur. C'est le temps des fêtes, des soirées. Donc des moments où il faut puiser dans ses allocations chômages pour payer cadeaux et habits de fête. Sans oublier toutes ces conversations du type : "Je viens d'être promu chef export. Je vais toucher 50 K€ et le mois prochain, je pars 3 semaines en formation à Papeete ! Et toi ? - Euh... Je suis au chômage... Mais... J'ai des pistes. "
L'été, déjà, il fait beau. Le soleil donne de la dopamine et l'on est plus heureux. C'est une question de chimie. On ne fait rien, mais on devient confiant : en septembre, on retrouvera du boulot. Surtout, beaucoup de gens sont en vacances. D'ordinaire, les rues, en semaine, appartiennent aux chômeurs et aux retraités. L'été, il y a des actifs en vacances. Le chômeur peut sortir sans croiser d'autres chômeurs, qui lui renvoient sa propre image. Enfin, les conseillers de Pole Emploi sont en vacances. Donc moins de courriers de convocation ou de radiation.

dimanche 6 juillet 2014

Revenge of the nerds

Les études prouvent d'ordinaire que les gens les plus populaires à l'université vont le plus loin. Ils ont le charisme et le bagout. Donc, on leur propose de meilleures jobs et davantage de promotions.
C'est d'autant plus énervant que les plus populaires sont rarement les premiers de la classe. C'est juste le clown ou la pin-up de service. Et ils ont plutôt tendance à débarquer en amphi avec 1 heure de retard et à zapper les exposés et autres travaux collectifs.

Mais une nouvelle étude remet cela en cause. Les piliers d'associations étudiantes ont tendance à boire et à fumer (et pas que du tabac...) plus. Ils se doivent d'être de toutes les soirées estudiantines, de tous les défis. Forcément, ça laisse des traces. Aux Etats-Unis, où on ne rigole pas avec l'ivresse sur la voie publique ou l’exhibitionnisme, les fêtards finissent au poste. En France, avec les lois sur le bizutage et la prise de conscience des dérapages lors des soirées estudiantines, on y va. Et postuler à un emploi après un séjour en prison, c'est forcément plus compliqué... Ceux qui n'ont pas franchi la ligne blanche ne sont pas épargnés par les tracas. Leur seul atout, c'est l'humour ou le charme. Ils vivent pour leur "public". Justement, certains comprennent qu'à 30 ans, la norme n'est plus d'enchainer les teq'paf, mais de se marier et d'avoir des enfants. Donc ils se plient au rite, juste pour "faire parti du groupe". D'autres refusent de rentrer dans le rang, ils en sont réduit à une surenchère, à rester d'éternels ados. Tôt ou tard, il y en a un(e) plus jeune ou un(e) plus drôle qui débarque. Et notre pilier de devenir passé de mode.
A contrario, les timides et les ringards, plus effacés, se font moins aspirés par le système. Ils progressent à leur rythme, sans excès et ils finissent par éclore. Une bonne nouvelle pour les zappés...

jeudi 3 avril 2014

Tanguy, le remake involontaire

Normalement, la fin des études est synonyme d'indépendance. Cette indépendance est d'autant plus attendue, à l'heure où de plus en plus fréquemment, on termine ses études à 25 ans. " J'en ai bavé, mais ça y est, je vais avoir un boulot et mon appart' ! "

Sauf que si vous débutez par un contrat précaire, votre situation financière sera forcément précaire. Aucun loueur ne signera un bail avec un intérimaire. Quant à demander un crédit, si vous débutez un emploi, même en CDI... Au moins, vous ferez bien rire votre conseiller bancaire !

Donc, vous restez chez vos parents. Et si vous enchainez les jobs bidons, ce sera du "provisoire qui dure". Dans d'autres cas, suite à un licenciement ou un divorce, l'infortuné doit retourner chez ses parents. Pour moi, ça a toujours été une ligne à ne pas franchir. Mais souvent, on n'a pas le choix. Et c'est le paroxysme du renoncement.
Les pseudo-documentaires de la TNT adorent les images de trentenaires bloqués chez leurs parents. Ca rappelle le film Tanguy. Avec une nette préférence pour les otaku obèses, en pyjama jusqu'à midi et qui râle parce que môman a oublié les Flamby à Carrefour. Il y a des cas de mères seules (et plus rarement, de pères seuls), qui reviennent avec leurs propres enfants.
Consciemment ou pas, volontairement ou pas, l'adulte est infantilisé par ses parents. D'autant plus que généralement, il vit à leur frais. Au mieux, ils font preuve de condescendance permanente. Voilà l'adulte fliqué en permanence : "Pourquoi t'es pas en train de chercher un job/un appartement/un compagnon ?" Au pire, il est considéré comme quelqu'un incapable de vivre de façon autonome. Après tout, s'il en est là, c'est qu'il ne sait pas se débrouiller, non ?

Avec la raréfaction des CDI, les exigences toujours plus importantes des banques et des bailleurs, ainsi que l'inflation des prix de l'immobilier, ce genre de situation risque de se développer.

lundi 3 mars 2014

Souffrance invisible

Lorsqu'on évoque le stress chez les adultes, on traite exclusivement celui des employés. On imagine le travailleur surmené, aux journées interminables, aux objectifs intenables, qui finit par craquer. Concernant les chômeurs, seuls les cas de désociabilisation sont évoqués. De temps en temps, un chômeur à bout agresse un employé de Pole Emploi. Aux Etats-Unis, il préfère prendre un fusil et lancer une expédition punitive chez son ex-employeur. Mais en dehors de ces cas extrêmes, point de salue.

Après tout, le chômeur ne travaille pas. Donc, pas de stress lié au surmenage. Et s'il dort mal, il peut faire une sieste, non? Donc pas de stress du chômeur. Fin de la discussion.

On oublie trop souvent qu'un licenciement est un traumatisme. Le chômeur se voit comme coupable de son état. En plus, maintenant, il est une "anomalie" ; un "actif", par définition, ça travaille ! Et ça ne sont pas des entretiens où on le traite comme une sous-merde, qui lui remonteront le moral ! Le chômage est aussi souvent synonyme d'isolement vis-à-vis de ses amis, voir de son conjoint. Beaucoup de chômage aboutissent à un divorce. Lorsque le chômage dure, il y a des problèmes financiers. Or, dans une société de consommation, celui qui ne consomme pas est marginalisé. S'y ajoute le doute : vais-je retrouver un emploi ? Vais-je retrouver une place dans la société ? Il avait le confort d'un emploi stable. Le voici à vivre au jour le jour. Impossible de savoir s'il retrouvera un emploi dans une semaine ou dans trois mois. Il est sur une pente glissante.
Cette souffrance est d'autant plus invisible que le chômeur est isolé. Il n'a pas de collègues ou de responsables pour constater qu'il est à bout. Son entourage lui dit souvent : "Arrête de pleurnicher et trouve un job !" Pole Emploi n'est pas là pour écouter les gens. Les psychiatres ? Ils lui répondent de repasser quand il sera SDF !

lundi 24 février 2014

ô solitude...

J'écris cette note suite à ce témoignage.


Depuis les vagues de suicides chez France Telecom et chez Renault, on commence à parler de stress, de surmenage, de dépression, de burn-out... Avant, on pensait que les pathologies liées au travail étaient réservées aux ouvriers. Le cadre est dans un bureau, au calme et comme il est bien payé, il n'a pas de problèmes de fins de mois. Donc, il ne peut pas souffrir, non? Ce n'est que récemment qu'on prend en compte les facteurs de stress des cadres : objectifs impossibles à atteindre, menaces de licenciement, harcèlement moral... Sans compter les facteurs conjugaux et extra-professionnels, car un employé ne laisse pas ses problèmes personnels à l'entrée de l'entreprise, le matin. De même qu'il ne laisse pas ses problèmes professionnels sur son bureau, le soir. Ainsi, face à un situation stressante, chacun est plus ou moins armé. Et certains craquent.
Au cours de ma déjà longue carrière, j'en ai vu, des personnes imploser. J'ai vu une femme perdre 10 kilos en un mois. J'ai vu une intérimaire, harcelée en permanence, démissionner en pleurant. J'ai vu des alcooliques, dont l'alcool servait d'auto-médication. Un ancien collègue, ne supportant pas d'être en arrêt-maladie, s'est suicidé. Personnellement, je n'ai jamais eu de burn-out. Une fois, j'ai eu de gros problèmes personnels. Je me réveillais en pleine nuit. Je me mettais à pleurer pour un rien. J'avais l'impression d'étouffer. Au travail, un jour, j'ai eu un blocage. J'étais pétrifié devant mon écran. Pour une fois, perdre mon emploi a été une chance. Ça m'a permis de prendre du recul. De me déconnecter avant de péter un câble.

Le premier problème, c'est que le salarié n'ose pas évoquer ses soucis et agir en conséquence. Le fait de ne pas arriver à gérer le stress quotidien est vécu comme un échec supplémentaire. De mémoire, je n'ai vu qu'une seule fois un salarié, récemment promu chef d'équipe, avouer que manager le stress et reprendre son ancien emploi. Beaucoup ont tendance à minimiser cela, à dire qu'ils "se sont levé du mauvais pied". D'autres ont tout simplement peur qu'on les licencie si on découvre leurs faiblesses (ce qui est parfois le cas.) Perdre son emploi est considéré comme le pire scénario, donc on préfère s'enfermer dans ses problèmes.
Le second, c'est la couardise des collègues et responsables. Le monde du travail est un monde égoïste. Dans La crise, Coline Serreau explique à Vincent Lindon que ses problèmes de séparation et de chômage, c'est triste, mais les autres ont davantage de soucis ! Circulez, il n'y a rien à voir. Vos collègues ne veulent pas avoir à faire à des problèmes trop personnels, trop intimes.
Quant aux responsables, ils veulent éviter à tout prix les confrontations. Face aux doléances, c'est souvent du "si t'es pas content, la porte est ouverte". On ne cherche pas non plus à désamorcer les conflits interpersonnels. La politique de l'autruche est la règle. J'ai connu une chef de service qui exigeait des assistantes jeunes et jolies, pour mieux les harceler (au moins moralement) ensuite. C'était de notoriété publique. Elles démissionnaient au bout de quelques semaines, parfois en pleurs (voir plus haut.) Mais on continuait de lui fournir de la chair fraiche. Dans une autre entreprise, mon prédécesseur ne supportait plus la comptable (dont le bureau était mitoyen.) Cette dernière passait ses journées au téléphone (pour des appels personnels, évidemment.) Un jour, il a craqué et il a voulu la poignarder avec des ciseaux. L'assaillant a été viré (d'où mon arrivé) et la comptable continuait ses interminables coups de fils personnels.
En théorie, les RH sont là pour assurer le service après-vente du personnel. S'il y a bien des gens chargés de détecter et de traiter le stress, ce sont eux. En pratique, ils sont souvent méprisants ou incompétents. "On peut rien faire pour vous. Par contre, si votre médecin vous préscrit un arrêt-maladie, il ne faudra pas oublier de nous l'envoyer."

lundi 3 février 2014

Chômage et amitié

Le chômeur possède une vie sociale assez limitée. En général, chômage=problèmes financiers. Donc, pas d'argent pour les sorties. Surtout, le chômeur porte en lieu de la culpabilité. N'est-il pas un peu responsable de son infortune ? En restant inactif, n'est-il pas inutile pour la société ? etc. (NDLA : notez l'emploi de phrases interro-négatives, afin de souligner l'état d'esprit "négatif" du chômeur...) Il a donc tendance à rester chez lui.

Mais malgré tout, la vie continue. Il y a bien des repas de famille ou des anniversaires à fêter. Parmi les proches du chômeur, il y a ceux qui ont été au chômage. Ils compatissent et tout les matins, ils brûlent un cierge en espérant ne pas retourner à cet état. Et puis, il y a ceux qui n'ont jamais connu le chômage. Ou alors, pas longtemps. Souvent, ils ont gardé le même job depuis la fin des études. Faute de pouvoir se mettre à la place du chômeur, ils ont tendance à le prendre de haut. Du boulot, il y en a ! S'il est toujours au chômage après des mois et des mois, c'est que ça lui plait plus ou moins, non ? Et en faisant des raccourcis, ce sont eux, qui financent le chômage de leur ami !
D'emblée, ils s’enquièrent de sa situation. Eux, ils ne parlent jamais de leur boulot; ils l'évacuent d'un "rien de neuf." Mais par contre, ils ont envie de connaitre les derniers développements du chômeur : "Alors, t'en es où, côté boulot ? T'as des pistes ?" C'est déjà lourdingue en soit. Le chômeur était là pour se changer les idées, pour passer un bon moment. Pas pour repenser à l'entretien complétement foiré de la semaine dernière ou cette annonce où son profil correspondait à 99% et qui ne l'a jamais recontacté.
En général, c'est suivi d'un : "Mais t'es pas tant à plaindre que ça ! C'est un peu comme des vacances, non ?" Oui, à part les problèmes financiers, le stress des entretiens, les crises d'angoisses, les menaces de Pole Emploi... De vraies vacances !
Puis il y a le conseil foireux. "Tu devrais regarder sur Internet. Je crois qu'il y a pas mal de sites d'offres d'emploi." Ou "J'ai vu que [multinationale] lance un nouveau projet. Il doivent recruter. Tu devrais postuler..."

Là, volontairement ou pas, il a ruiné la soirée du chômeur. Ce dernier a envie d'aller retourner dans sa grotte et s'y enfermer jusqu'à nouvel ordre. Pour peu qu'on soit un samedi soir, il ruinera aussi son dimanche. Les plus violents prendront l'ami à parti. Et l'autre, ne comprendra pas ce qui arrive. Il voulait être juste amical...