vendredi 17 février 2023

I.T.F.

Hollywood aime bien les histoires d'entreprises où un anonyme dévoile à son PDG une idée géniale, qui permet à l'entreprise de se développer. Du coup, l'anonyme est promu sur-le-champ...

En pratique, ça n'arrive jamais. Au contraire.

Imaginez, vous êtes impliqué dans un équipe projet. Il y a eu des moments difficiles, mais le projet est sur le point d'aboutir. Surprise : vous êtes bien au-delà des objectifs. Dans les stats de reporting, vous faites la course en tête.
Un projet qui réussit ? Le presta qui s'en occupe doit partir dans 3 mois, alors ça serait dommage que ce succès reste orphelin... Votre N+2, voire N+3 demande une présentation. Puis il commence à mettre son grain de sel. Et d'autres "huiles" commencent à s'impliquer. La liste des personnes en "CC" sur les mails s'allonge. Des gens qui n'étaient pas du tout impliquées jusqu'ici, voire qui vous avaient envoyé balader !
Une partie du travail du management intermédiaire consiste à repérer les success story de l'entreprise et s'en attribuer le mérite. En particulier les Rastignac.

Dans de rares cas, cela évolue dans le bon sens. Tel interlocuteur refusait de vous communiquer des informations et grâce à un mail d'en-haut, il s'est mis à filer droit !

Mais en général, le projet vous échappe complètement. Bientôt, votre N+3 et ses collègues organisent ds réunions sans vous. Ces inspecteurs des travaux finis s'attribuent le mérite de vos actions. Aussi, ils n'hésitent pas à vouloir faire pisser un peu plus le projet. Vous aviez gagné un marché de 3 millions ? En prétextant des frais supplémentaires, on peut gonfler la note à 4 millions, non ? Faute de connaissances du terrain, c'est la foire aux yaka faukon. Impossible de les contredire. Et ils ont d'autant moins de scrupules que c'est vous qui serez en première ligne, pas eux !
Et lorsqu'il y a une action, elle est pour tout de suite, maintenant. Votre manager se fait mielleux. Il voit bien qu'il dit blanc un jour et noir, le lendemain. Sans parler du PPT de 58 diapos qui vous a occupé, la semaine dernière, jusqu'à 1h du matin. Oui, mais les ITF, ce sont ses supérieurs et vous, votre mission se termine bientôt. Son empathie est feinte ; il a déjà choisi son camp.

Parfois, le management intermédiaire a vendu la peau de l'ours avant que vous l'ayez tué. Et l'ours vous a échappé. Tant pis. De toute façon, ils ont déjà repéré une nouvelle ITF à organiser...

Certains employés se plaignent de faire du présentéisme et de n'effectuer que des taches sans intérêt. Mais d'autres vous diront qu'au moins cela permet de rester sous le radar. Que les choses valorisantes sont une malédiction, pour les employés de base...

jeudi 2 février 2023

The man who wasn't there

J'ai posé un congé d'une journée. Rien d'exceptionnel. J'avais prévenu et remplit une demande en bonne et due forme. Par contre, j'ai oublié de décliner les réunions de la journée, dont un face-to-face.
Personne n'a remarqué mon absence. D'ailleurs, sur plusieurs compte-rendus j'étais noté parmi les "présent". Quant au face-to-face, mon interlocuteur s'est excusé de ne pas pouvoir y assister !

Dans le temps, c'était simple : vous deviez être présent, du lundi 8h au vendredi, à 17h. C'était manichéen : on était présent ou absent. Toute personne qui n'était pas physiquement à son bureau devait se justifier. Bien sûr, cela avait un côté pervers. C'était le temps du manager-pion, qui regardait par dessus votre épaule et des employés faisant semblant de travailler.
Avec les 35h, il y a eu "l'aménagement du temps de travail". Les gens qui s'absentaient un mercredi sur deux, les RTT, les horaires décalés... On passait d'horaires fixes à une obligation d'être présent physiquement dans l'entreprise pendant x heures par an.
 

Maintenant, on passe à une nouvelle étape : la déconstruction du temps de travail. Une transformation d'autant plus sournoise qu'elle fait l'objet d'aucune négociation nationale ; il n'y a que des lignes directrices et des garde-fous qui sont autant de vœux pieux.
Qu'est-ce que la présence, en 2023 ? Certaines entreprises autorisent 3, 4, voire 5 jours de télétravail. Vous croisez à peine vos collègues, au point où des "coffee" sous Teams remplacent la machine à café. Dans d'autres entreprises, il n'y a plus de bureaux dédiés par service. Les jours de présentiels, les employés s'installent où ils peuvent.
Surtout, les notions de "congés" ou "d'arrêts maladie" deviennent floues. Le covid a créé cette zone grise de "potentiellement contaminant pour ses collègues, mais en capacité de travailler". Grippe, angines, gastroentérites sont désormais synonymes de télétravail. En théorie, pour le télétravail, l’assurance ne vous couvre que si vous êtes chez vous. D'ailleurs, vous pouvez exiger de votre employeur à ce qu'il vous fournisse le matériel nécessaire (écran supplémentaire, casque audio...) à l’exécution de votre travail. En pratique, on tolère à ce qu'un employé soit où il veut, tant que le travail est fait. Lors des voyages avec quarantaine obligatoire, on autorisait le salarié à effectuer un télétravail durant la quarantaine et à ne prendre sur ses jours de congés qu'ensuite.
Au quotidien, vous avez souvent Outlook et Teams sur votre smartphone pro. Vous pouvez donc réagir rapidement, même hors des heures habituelles. Or, en entreprise, on glisse vite de "pouvez" à "devez"...

Le monde du tertiaire devient donc un monde virtuel. Dans les cas extrêmes, vous n'avez jamais vu vos collègues ou votre manager "irl". Les gens ne sont plus que des avatars avec des pastilles vertes, rouges, jaunes... Et plus rarement, blanches. Quel que soit le jour et l'heure, vous n'êtes jamais très loin de votre "bureau".
Ce monde-là ne donne pas beaucoup de droits aux salariés, mais pas beaucoup de devoirs non plus. Cela explique le fort turnover actuel. Néanmoins, ce n'est pas grave, on s'habitue à voir disparaitre des avatars et à en voir apparaitre de nouveau. L'entreprise devient un "lobby" de jeu en-ligne...