lundi 7 août 2023

Tache zéro

Non, on ne va pas parler de lessive ou de programme informatique ! 

Je l'avais évoqué brièvement lors du "deuxième dernier jour" : le devenir du consultant senior en inter-contrat.

Le problème de l'inter-contrat

Dans le temps, le modèle économique des cabinets de conseil incluait les inter-contrat. Ils étaient perçus comme un vivier de talents qui seraient plus utiles dedans, que dehors. Les cabinets possédaient des plateaux pour inter-contrats, avec un protocole, une hiérarchie dédiée, etc. Le coût était inclus dans la facture de prestation ; un genre d'assurance-chômage du cabinet.

En supprimant les plateaux d'inter-contrats, les cabinets économisaient sur le foncier, le personnel sédentaire et cela se retrouvait (un peu) sur la marge. Le client était content et il optait pour le cabinet le moins cher (et ayant le moins de frais fixes.)

Et que faire des consultants en inter-contrat ?
Les juniors, c'est facile : ils démissionnent pour un rien! De toute façon, ils signent des CDI de chantier. Donc plus de mission, plus de CDI.
Quid des seniors ? Les cabinets se battent pour eux ! Les missions de seniors sont plus longues et avec une facturation journalière plus élevée (donc davantage de commission.) Pour recruter des seniors, les cabinets dégainent des CDI "tout court" et ils ouvrent leurs porte-monnaie. Mais en fin de mission, ça se complique. Les seniors possèdent souvent un savoir-faire spécifique et ils sont donc plus compliqué à recaser. D'autant plus que nombre de cabinets possèdent des relations trop superficielles avec leurs clients pour être vraiment à l'affut des opportunités de missions "senior".
Un consultant senior en inter-contrat, c'est une pile d'argent qui brûle, tous les jours ! Alors les cabinets ont une solution radicale : les taches zéro.

Un peu d'historique
Parmi les emprunts à la culture asiatique, les taches zéro sont l'un des moins glorieux.

Vers 1941, l'armée Impériale Japonaise remporta de nombreuses victoires en Asie du Sud-Est et en quelques mois, elle captura 150 000 militaires alliés. Pour les officiers Japonais, un bon militaire devait mourir au combat, plutôt que se rendre. Ces prisonniers étaient donc des "lâches". Il fallait leur faire regretter d'avoir choisi la vie ! Les nazis furent particulièrement cruels et violents envers leurs prisonniers Soviétiques ou Polonais. Néanmoins, le taux de mortalité était sept fois supérieur dans les camps Japonais. L'armée Impériale avait édité un doctrine pour détruire physiquement et moralement le prisonnier. La torture psychologique était théorisée. L'un des outils, c'était des taches sans intérêt. Comme de creuser un trou, le matin et le reboucher, l'après-midi.

Le groupe Daewoo naquit en 1967. Proche de l'autocrate Park Chung-Hee, le fondateur du groupe s'entendit très bien avec son successeur, Chun Doo-Hwan. Le métier d'origine de Daewoo, c'était le textile. Dans les années 80, Chun Doo-Hwan fournit au groupe des prisonniers politiques. C'était de la main d’œuvre gratuite et surtout, le groupe se chargeait de les "corriger". A l'approche des Jeux Olympiques de 1988, la police Coréenne rafla tous les gêneurs, mais aussi les SDF et les jeunes filles ayant fuguées (?) et ils finirent chez Daewoo, où ils furent brutalisés.
Quelques années plus tard, Daewoo implanta en France des usines de fabrication de téléviseurs et de fours à micro-ondes. Les employés français se plaignirent vite des méthodes des cadres Coréens, en particulier les "tache zéro" (zéro intérêt, zéro valeur-ajoutée...) C'était des punitions envers ceux qui ne remplissaient pas leur objectif ou qui s'absentait. La direction ne supportait pas les arrêts-maladies (même justifiés.) L'employé était alors "condamné" à n jours de tache zéro. Comme de nettoyer l'atelier, sans que ses collègues aient le droit de lui adresser la parole. L'objectif était de soumettre les employés et c'était directement issu du passé de l'entreprise.

Les taches zéro en 2023
Ne vous inquiétez pas, un cabinet de consultant ne demandera pas à ses inter-contrats de passer le balais ! C'est plus subtile...

Le but du cabinet de conseil, c'est de pousser dehors le consultant.

Cela commence par la mission inadaptée. "Une mission de neuf mois à Limoges ! Je sais que tu es Parisien, marié et que tu as des enfants. Mais tu dois y réfléchir. On est près à faire un effort sur ta prime quotidienne de 5€." Par la suite, les entretiens avec la hiérarchie débuteront par : "On t'a proposé une mission, que tu as refusé. Tu n'y mets pas du tiens."
Ensuite, on demandera au consultant d'effectuer des taches sans intérêt : tenir à jour un fichier, détailler une définition de poste. Le tout dans un délais court. Et à la fin, votre N+1 regardera à peine votre travail. Ostensiblement, il vous montre que vous vous êtes pressé pour rien.
On peut vous convoquer à des face-to-face pour le lendemain matin (pour être sûr que vous n’êtes pas parti en vacances.) Dans les cas extrême, on vous force à venir tous les matins à 8h et vous passez la journée à ne rien faire. Le personnel sédentaire du cabinet vous est forcément hostile : eux, ils travaillent et vous, cela fait x jours, x semaines, parfois x mois que vous ne faites rien. Et vous êtes là, sous leur nez.
La pression monte crescendo. Évidemment, lors des entretiens avec la hiérarchie, c'est vous le fautif. Surtout si on vous propose un seconde mission foireuse et que vous la refusez. Certains cabinets parlent alors de rupture conventionnelle, en vous donnant le minimum syndical. D'autres vous forcent carrément à démissionner. Ou plutôt, à vous "libérer".

mercredi 2 août 2023

Julie

Depuis une dizaine d'années, l'égalitarisme a vocation à ouvrir davantage certains secteurs a des populations jusqu'ici peu représentées (les femmes, les noirs, les Maghrébins...)

Les gens comme Yves en souffrent. Les tenants de l'égalitarisme se moquent bien de ces "mâles blancs fragiles". La société leur avait donné trop de place, alors ils doivent désormais laisser les autres passer devant !
Sauf qu'à vouloir faire de l'égalitarisme, on finit par desservir la "diversité". Avant l'égalitarisme, il y avait déjà des femmes, des noirs, des Maghrébins, etc. dans l'encadrement. Quid donc des "diversifiés" qui auraient percé malgré tout ?  Prenons le cas de Julie.

J'ai croisé Julie dans une précédente mission en prestation. Ingénieur grande école, d'origine Asiatique, ce n'est pas un quota et ça se voit ! Brillante employée, elle avait été promu à un poste de management fonctionnel.
Dans les directives "inclusives", on a réduit les prérogatives des postes destinés aux femmes. Donc, elle s'est retrouvé à ne quasiment rien faire, tandis que ses collègues masculins étaient surbookés. Elle saurait capable de faire plus. Elle aurait envie d'être bousculée et de transpirer. Mais le programme "diversité" ne tient pas compte de ses compétences ; en tant que femme, elle doit être maintenue dans un "safe space". Paradoxalement, ces directives "d'ouvertures" aboutissent à des mesures condescendantes, voire sexistes et racistes.
En prime, les perspectives ne sont pas bonnes. Car dans les entreprises, il y a désormais des carrières à deux vitesses. D'un côté, la progression au mérite et de l'autre, la progression afin de remplir les quotas de diversité. Charge à la direction et aux RH de définir si un poste de management est ouvert au "mérite" ou à la "diversité". Julie a été cataloguée "diversifiée". Donc, si elle passe manageuse, elle aura là aussi un poste "diversité".

Au quotidien, Julie a des relations tendues avec ses collègues. Forcément, ils n'apprécient pas de la voir buller, alors qu'ils sont au taquet. Enfin, dans un environnement très masculin, beaucoup se méfient des accusations de harcèlement. Donc interdiction de parler avec une femme, a fortiori séduisante, s'il n'y a pas de motif professionnel. Elle, que ce soit à l'école ou au boulot, elle a toujours évolué dans un environnement masculin. Il lui arrive même de faire des allusions olé-olé. Néanmoins, les hommes se tiennent à distance. Et comme elle a peut de travail, elle a donc peu d’interactions avec ses collègues.
Pour son anniversaire, elle avait apporté des croissants, mais personne n'était venu la voir.