mercredi 27 octobre 2021

Qui sumus ?

Faisons une pause dans cette série sur les inégalités hommes-femmes.

Dans The Navigator, on voit le bureau des héros changer deux fois d'enseignes. Certains secteurs sont en ébullition permanente. Les groupes se rachètent, fusionnent. Ou bien au contraire, ils cèdent tel activité. J'ai connu plusieurs entreprises qui avaient ainsi changé trois, voire quatre fois de raison sociale sur les cinq dernières années ! 

Souvent, ces changements sont synonymes de déménagements, de reconversion industrielle et de plans sociaux. Comme dans The Navigator, à chaque nouvelle enseigne, il y a des slogans et un discours ronflant. En pratique, rien ne bouge. Du moins, rien ne bouge dans le bon sens. Lors d'une tournée ds sites, je suis ainsi tombé sur un atelier de SAV, qui portait encore les couleurs de l'entité en 2000. Certaines portions du site étaient en ruine et les employés avaient clairement l'impression d'être oublié.

Plus généralement, dans ces entités qui changent de mains, les gens sont désabusés. Ils voient défiler les PDG et les plans. Un jour c'est blanc, le lendemain, c'est noir. Parfois, les embauches sont gelées pendant n mois. Les employés sont remplacés par des prestataires. Par contre, les postes des managers restent vacants, faute de budget. D'où des managers "acting", soi-disant provisoirement.
Comment être motivé, dans ce contexte ? Vos objectifs actuels seront peut-être modifiés du tout au tout, dans six mois. Votre N+1 n'en sait pas plus que vous sur l'avenir, d'ailleurs, il est peut-être déjà en train de négocier son départ. Les prestataires, eux, n'assurent que le day-to-day et ils finissent par devenir interchangeables. Lorsque le provisoire dure, les internes deviennent minoritaires. Un cercle toujours plus restreint, entre les départs en retraite anticipés, les burn-out et les démissions/licenciements. Le télétravail renforce cet isolement, alors que le liens avec vos collègues se limite à des réunions Teams.

Les politiciens, de droite comme de gauche, réduisent le travail à une feuille de salaire, le 31. Mais l'entreprise, c'est aussi un mythe, une culture, auquel le salarié adhère. C'est une communauté de personnes. On n'aime les règles du jeu ou pas, mais au moins, les règles sont gravées dans le marbre.
Dans l'entreprise instable, tout ceci vole en éclat. Et c'est comme cela qu'en quelques années, une entreprise florissante devient complètement moribonde.

dimanche 24 octobre 2021

Un travail d'hommes

Sanglier Sympa, un compte Twitter disons de droite très conservatrice, a créé ce meme en 2017. Apparemment, il s'est inspiré d'un meme US plus ancien, qu'il a adapté. A l'époque, j'avais trouvé que c'était misogyne, transphobe et plutôt raciste.

Sauf que j'ai vu que c'était une réalité.

Avec le devoir d'égalité au sein des entreprises, on passe d'une égalité des chances à une égalité de résultat. 

J'ai été en entretien dans un entreprise de génie civil, c'est eux qui m'avaient contacté. Les métiers physiques (manutention, maintenance...) y sont presque exclusivement masculin. Alors pour garder un index Egapro favorable, les entreprises féminisent au maximum la partie administrative. Là, en l'occurrence, dans les bureaux, il n'y avait que des femmes. On était en pleine après-midi, un jour de semaine et c'était l'affluence à la machine à café (alors qu'il n'y avait pas de pot de départ.) J'ai pu d'autant plus examiner la situation que la salle d'entretien était tout au fond de l'étage.
J'étais face à une femme, ma future responsable, de dix ans de moins que moi. Je n'ai jamais travaillé dans le génie civil, mais visiblement, j'en savais beaucoup plus qu'elle. Elle n'arrêtait pas de faire des fautes sur les termes techniques (ex : un "maitre d'ouverture" au lieu d'un "maitre d’œuvre".) Le génie civil, ce n'est guère séduisant pour les femmes. Elles se voient pataugeant dans la boue, sous les remarques sexistes des ouvriers... Donc, même pour de l'administratif, il a fallu faire avec les rares volontaires. Ma chef avait ainsi cinq jeunes diplômées en sociologie et elles ne fournissaient même pas 50% de la charge demandée. D'où le recrutement d'un vieux mâle blanc pour assurer les 50% restants, ainsi qu'une partie du travail de la responsable.
C'était un entretien difficile. J'étais au chômage, donc je devais faire le dos rond. Tant pis si la gamine devant moi était complètement nulle. Ce qui bloquait le plus, c'était le salaire. Car évidemment, elle m'aurait payé au même tarif que les cinq autres. Lorsque je suis reparti, une heure après, c'était toujours l'affluence à la machine à café.

Par la suite, j'ai revu ce phénomène, mais de manière moins prononcé. En tout cas, dans un même service, on voit souvent deux niveaux de profil. Un job senior et un job de quota, avec peu d'expérience demandé et un périmètre ridiculement petit. Car certains secteurs manquent de candidates et celles qui arrivent ne sont au niveau. Certaines ont même du mal à venir pointer, 5 jours par semaines de 9h à 18h ! Alors il faut aménager et s'adapter.
Et plus généralement, on voit peu de personnes de plus de 40 ans, hommes ou femmes. L'historique du service, à 6 mois de la retraite, qui est une véritable encyclopédie, c'est fini. Donc vous voyez des chômeurs de 50, voire 60 ans, qui sont embauchés comme consultants.

vendredi 22 octobre 2021

L'inégalités des chances

Le monde de l'entreprise est pavé de bonnes intentions.

L'égalité des chances, (presque) tout le monde est pour. Embaucher et promouvoir quelqu'un, quelle que soit son sexe, son orientation sexuelle, son origine ethnique, ses opinions religieuses, etc. Dans les années 90, les entreprises anglo-saxonnes affichaient des chartes de "equal opportunity employer". En France, les quotas ethniques sont interdits. En revanche, depuis 2018, il existe un index de la présence féminine.

Mais cela reste insuffisant. Dans l'industrie, seul 29% des employés sont des employées. Les entreprises organisent des journées portes ouvertes à destination des femmes. Les DRH se plaignent d'une faiblesse de l'offre. Seules 8% des lycéennes s'orientent vers l'ingénierie ou les mathématiques. Alors qu'elles sont surreprésentées dans la santé.

Certaines voix accusent les entreprises de sexisme. Il faut dire qu'en cas de conflit, le pasdevaguisme prime, au détriment de la plaignante. Je me souviens d'un responsable du service après-vente soupçonné de harceler ses assistantes. J'en ai vu défiler trois en quinze mois (et il y en avait d'autres avant ma venue.) Solution trouvée par la direction : désormais, il n'aurait plus d'assistantes ! Néanmoins, de là à généraliser la situation à tous les services de toutes les entreprises...

L'index Egapro, imposé aux entreprises de plus de 50 salariées, s'inspire d'une pratique déjà courante chez les grandes entreprises. La pression est sur les dirigeants pour maximiser le nombre d'employées, voire de femmes managers.
A compétence égale, les DRH embaucheront une candidate. Mais faute de candidates parfaites, ils vont parfois piocher au fond du panier. Des postulantes a priori écartées (profil inadéquat, absence de motivation, attitude inappropriée...) sont malgré tout embauchées.
Certaines parviennent à déjouer les pronostics et à s'imposer. Et les autres ? C'est un tabou. Les Américains parleraient "d'éléphant dans la pièce" : on sait que le problème est là, il nous embête au quotidien, mais il faut l'ignorer. Dans l'industrie, vous voyez donc fleurir les "keskifoula". Des femmes pas du tout dimensionnées pour leur tâche ou qui se contrefichent de tout. En tout cas, leur productivité est insuffisante. On comprend vite qu'on a affaire à un quota féminin. D'ailleurs, elle a les félicitations de son N+1, qui va bientôt la promouvoir. La keskifoula sent souvent qu'elle n'est pas à sa place, mais si elle démissionne, l'index Egapro va baisser ! Alors il faut la chouchouter...

lundi 18 octobre 2021

Ubérisation, piège à cons !

D'ordinaire, on commence par "j'ai beaucoup de respect pour X, néanmoins..." et là, vous canardez X à l'arme lourde... Là, au contraire, je n'ai pas beaucoup de respect pour Gurvan Kristanadjaja. C'est un jeune journaliste de gauche. Très journaliste, très jeune et très à gauche.
Son Ubérisation, piège à cons vous tombe des mains. La prose est indigente, il ne connait qu'un seul groupe de verbe et uniquement à l'indicatif. On sent que l'auteur n'a pas vécu et pas lu grand chose. Qu'il n'a jamais travaillé dans un bureau ou pointé au chômage. Sa candeur, lorsqu'il découvre que Pôle Emploi ne propose pas de vrais emplois, est touchante. S'il ait bien un livre qu'il a lu, c'est Le Capital, de Karl Marx. Et encore, en diagonale. Car notre ami Gurvan part à l'assaut des patrons filous, face aux travailleurs exploités ! On a l'impression que sa mère va débarquer en disant : "Gurvan, viens mettre la table ! - Mais maman, je suis en train d'écrire un chapitre sur Amazon et comment c'est des exploiteurs sans scrupule !" La manière dont il prend à partie le patron de Cowash, un start-up visiblement au bord du naufrage, est complètement disproportionnée.

Malgré tout, Gurvan Kristanadjaja arrive quand même à brosser un portrait complet de l'ubérisation.
Le moteur, c'est ce qu'il appelle lui-même "l'économie de la paresse". Des jeunes qui ne veulent plus faire la cuisine, conduire ou flâner dans les boutiques. Et ils sont prêt à payer plus cher, pour que ça leur tombe tout cuit dans le bec.
Des start-ups ont flairé le filon. Pas de concept révolutionnaire. Au contraire, ce sont des services qui existaient depuis des lustres. Uber, c'est les bonnes vieilles voitures de Grande Remise. Uber Eat et Just Eat rappellent les livreurs de pizzas. Quant à Amazon, c'est un simple vépéciste. L'atout, c'est le marketing et des applis pour smartphone. Là où les entreprises de service attendaient le client, nos start-up sollicitent les leurs, en leur proposant des remises, de nouveaux services, etc.
L'autre innovation, c'est que ces entreprises n'ont quasiment aucun coûts fixes. L'auteur racontent comment ces start-up viennent dans les banlieues. Elles y trouvent des jeunes, souvent sans diplômes (et parfois repris de justice ou sans-papiers), attirés par l'indépendance et l'argent rapide. Les start-ups leur proposent un statut d'indépendant (Amazon faisant lui appel à de micro-sous-traitants.) Ce sont eux, qui achètent les voitures, les scooters et même les glacières siglées. Là encore, les start-up savent les motiver en montrant en permanence les juteuses commandes qui leur passent sous le nez. Nos banlieusards sont donc au taquet. Du moins, au début. Ensuite, ils déchantent : horaires à rallonge, rémunération en chute libre, absence de couverture en cas de maladie ou d'accident, etc.
Pour Gurvan Kristanadjaja, la solution, c'est une requalification de tout ces "indépendants" en CDI. Sauf que certains ne pourraient pas être employés et que d'autres n'ont pas envie d'avoir des comptes à rendre à un patron. Personnellement, je pense qu'il faudrait surtout réhabiliter l’entreprenariat. Que les gens ait envie de créer une entreprise pérenne, au lieu de se laisser charmer par le premier discours. Cela passe aussi par une éducation du consommateur, qui cautionne un système et se contrefiche des conditions de travail de son livreur.
Le dernier chapitre du livre est intéressant. L'auteur réalise que l'ubérisation touche de plus en plus d'emplois. Que des gens travaillent comme extras avec un statut d'autoentrepreneur. Ça pourrait être le début d'un livre et c'est hélas la fin du sien.

mercredi 13 octobre 2021

Johnny Abbes

"Johnny" Abbes (1924-1967) fut le terrible chef du renseignement militaire de la dictature de Trujillo, en République Dominicaine.

Mario Vargas Llosa l'évoque longuement dans La fête au Bouc. Personnage vulgaire, avec un peu d'embonpoint, Abbes était loin de l'image du tortionnaire rafiné hollywoodien. Il n'était pas particulièrement brillant, non plus. Mais il savait récolter des informations. Dès que quelqu'un bougeait le petit doigt, en République Dominicaine, Abbes était au courant. Il connaissait également toutes les intrigues et toutes les basses manœuvres autour du premier cercle trujilliste. Ainsi, bien au-delà de son rôle, ce minable était la clef-de-voute du régime. Abbes était bien conscient de son pouvoir et plus précisément de son pouvoir de nuisance, qu'il exerçait à mauvais escient. Il n'était même pas intéressé par le pouvoir ou l'argent. Il faisait chanter les gens juste pour son bon plaisir.

En lisant le livre de Vargas Llosa, j'ai immédiatement pensé à plusieurs personnes. Nous vivons dans un monde de managers intermédiaires avec des diplômes de sociologie ou des formations labellisées par de Grandes Écoles. Ces managers n'ont pas le bagage nécessaire pour prendre des décisions. Y compris lorsqu'il s'agit de choisir un nouveau pot à crayons. Alors ils s'appuient sur un Johnny Abbes. Un mauvais génie, sûr de son fait. Il peut mener son N+1, voire son N+2 à sa guise.
Au début, vous l'aimez bien. Enfin quelqu'un qui connait les dossiers ! Enfin quelqu'un avec une vision de l'entreprise ! Enfin quelqu'un avec une opinion. Le premier point énervant, c'est qu'il s'écoute parler.
Mais forcément, vous finissez par avoir des désaccords. Dans un groupe de travail inter-service, neuf personnes proposent blanc, il propose noir, alors le responsable opte pour noir. Pas gris foncé, noir. Vous le suppliez de faire un geste, il vous ressort un alinéa du règlement. Il a commis un faute ? Danger ! Vous avancez à pas de loups. Mais il retourne la situation : c'est de votre faute. Et lui, il n'hésite pas à mettre tout le conseil d'administration en copie du mail. C'est sa parole contre la vôtre. La parole de l'unique personne capable de faire tourner la boutique contre la vôtre. Et si vous êtes prestataire, stagiaire ou intérimaire, vous êtes d'autant plus en porte-à-faux (et Johnny Abbes en profitera...) Autant préparer tout de suite vos affaires...

vendredi 8 octobre 2021

Effet ketchup

Voici un article qui ne parlera pas aux plus jeunes : du ketchup dans une bouteille en verre. Bien sûr, ici, ce n'est pas un de ces sites surfant sur la nostalgie et le "vous avez connu...?" On va parler management.

La particularité du ketchup dans des bouteilles en verre, c'est qu'il défiait la gravité. Vous aviez beau retourner la bouteille, la secouer, etc. Rien n'y faisait. Le ketchup restait au fond. Parfois, par dépit, vous plongiez votre couteau dans la bouteille. Mais souvent, trop souvent, une grande quantité de ketchup tombait d'un seul coup, noyant votre assiette.

Par analogie, en bourse, on a commencé à parler "d'effet ketchup". D'après Google, c'est Lawrence H. Summers qui l'évoqua une première fois, en 1985. Il mentionna ainsi une "économie du ketchup". Concrètement, aucun ordre n'est passé et d'un seul coup, la corbeille s'affole.

Très vite, on a compris que c'était une image très commode pour décrire un évènement passant sans transition du calme absolu à la suractivité complète. Lorsque vous avez un manager Moïse, vous connaissez en permanence des effets ketchup. Il refuse d'agir, tant qu'il n'a pas d'aval. Mais une fois que l'ordre tombe, tout devient urgent !
Qui plus est, l'ordre tombe généralement à 17h15. Vous avez passé votre journée à faire du présentiel. Vous comptiez donc partir plus tôt et voilà qu'on vous impose une longue liste d'actions pour demain matin, dernier délais.

L'employé comprend très vite que son manager possède un pouvoir décisionnel limité ; il aura donc une confiance tout aussi limitée envers son chef.

mercredi 6 octobre 2021

Moïse

Voici un comportement managérial, d'abord décrit dans Dilbert.

Le manager Moïse, c'est celui qui attend des signes "d'en-haut". Non pas du Très Haut, mais du top management. Il ne s'engagera jamais, sans un aval préalable. 

Certes, le manager doit agir dans le respect des directives de sa hiérarchie. Mais le Moïse a généralement trois défauts :
1) Il n'osera pas pousser ses propres idées, par peur de se mettre en porte-à-faux. Il n'osera pas non plus solliciter trop souvent le top management. Un top management qui a, lui, tendance à croire que tout va de soi. Ainsi, pour un nouveau projet, le manager n'osera pas solliciter des embauches, tandis que le top management pensera qu'il existe une équipe dédiée, que l'on peut charger à 100%.
2) Même pour les problématiques day-to-day, le manager ne bougera pas tant qu'il n'aura pas de feu vert. Personnellement, j'ai ainsi du attendre deux ans avant d'avoir un nouvel écran d'ordinateur.
3) Le manager devient obsédé par la communication officielle. Pas question de laisser fuiter. Quitte à laisser une équipe travailler sur un sujet officieusement obsolète.

En bref, le manager Moïse est couard et opportuniste (donc souvent menteur, car il nie généralement de jouer les girouettes.) Vous ne pouvez pas comptez sur lui.