jeudi 25 septembre 2025

Le livre qui n'existe pas


En cette rentrée, vous avez le marronnier des marronniers : le livre de profs. A chaque fichue rentrée, des profs se plaignent de la baisse de niveau des élèves, des directives inapplicables de l'académie, de la couardise du rectorat... Effet Samuel Paty, les profs se plaignent désormais du communautarisme.

En revanche, point d'ouvrages de cadres ou de managers du tertiaire. C'est un continent quasi-inexploré.
Il est vrai que souvent, les profs écrivent bien (notamment les profs de français...) Et quoi qu'ils en disent, ils ont du temps libre. Enfin, entre profs, ils ont l'habitude d'animer des débats, d'argumenter, de pousser des idées...
A contrario, les cadres ont rarement la fibre littéraire. Ils sont souvent très occupés. Et le padevaguisme est encore pire que dans les établissements scolaires. Il n'y a pas de discussions franches : soit vous êtes d'accord, soit vous partez (ou l'on vous sort.)

Concernant nos élèves à problèmes, faute de littérature dédiée, d'aucuns a l'impression qu'à l'âge adulte, les problèmes s'estompent.
Ca a été vrai. Pendant longtemps, les élèves turbulents, les illettrés, les cas sociaux, c'était de la chair à lycée technique, voire à lycée professionnel. Dans les usines d'autrefois, les bureaux étaient un espace protégé de la plèbe. A contrario, les femmes évitaient de s'aventurer dans certains coins de l'atelier... Vous aviez aussi des individus qui finissaient par murir. Grâce à un effort d'introspection, ils finissaient par rentrer dans le rang.
Mais la baisse du niveau générale est telle qu'on ne parle plus d'individus isolés. Du coup, la barre a été baissée, encore et toujours. Donc, votre graine de taliban, le bas du front ou la punk à chien, il se retrouve avec un Master 2 et il atterrit dans un bureau ! Et pourquoi aurait-il pris du recul ? Leurs parents se sont comportés en copains. Les profs se sont comportés comme des animateurs. Sur les réseaux sociaux, des influenceurs les encouragent à "être eux-mêmes", de demander au monde à s'adapter à eux (et non l'inverse.) Au travail, les jeunes ont donc du mal à assimiler le concept de hiérarchie, de règles. A l'école, vous pouvez toujours tricher aux examens ou demander à l'intelligence artificielle de vous rédiger un dossier. Au travail, les échappatoires sont plus rares. Surtout en début de carrière. Ils restent également persuadés d'avoir beaucoup de droits, sans aucun devoir. Pour autant, le grief principal, c'est que les jeunes n'ont pas conscience qu'il faut agir et parler différemment en fonction de son interlocuteur. Le repris de justice aura tendance à vouloir toujours avoir le dernier mot, quitte à prendre à parti ses collègues. Durant les réunions, la gauchiste à cheveux fluos voudra faire la leçon sur les mentalités "coloniales" et la "domination masculine". Sans oublier la personne a priori normale qui ponctue ses phrases de "ça dit quoi ?", "wesh", "la dinguerie", etc.
Les managers, ils s'en foutent. Pour le RSE et Egapro, ils ont dû "élargir le recrutement". Ils se retrouvent avec des jeunes interchangeables, qui démissionnent au bout de six mois. La théorie du radeau revient en force. Sauf qu'en cas de pépin, les managers foncent dans le radeau et ils larguent les amarres ! A quoi bon se griller auprès de la hiérarchie pour quelqu'un qui compte bientôt prendre une année sabbatique ?
Vous répondrez qu'après tout, tous les vieux chênes ont commencé par être un gland. Rien de grave donc ; on est tous passé par là. Sauf que les choses se sont vraiment dégradés avec la génération Y. Une génération qui a aujourd'hui dépassé la trentaine. Or, ils n'ont toujours pas muri. Là encore, c'est souvent faute de remise en cause. Aucun manager n'osera dire ses quatre vérités à un employé problématique. Généralement, ils se renforcent dans leurs défauts. Un ado qui commence toutes ses phrases par "frérot...", c'est lourdingue. Un trentenaire qui fait cela, c'est juste ridicule. Surtout, professionnellement, votre génération Y "wesherelle", il n'a aucune valeur ajoutée par rapport à un junior. D'où une progression quasi nulle.

lundi 4 août 2025

Chiens de prairie

Lorsque j'ai débuté, l'informatisation était balbutiante. La moindre extraction de donnés prenait parfois des heures. Une partie du temps était passé à ouvrir le courrier. Le fax était également chronophage, car la mémoire de la machine était limitée. Impossible d'enchainer les envois : vous deviez attendre qu'il ait envoyé des documents et qu'il ait de nouveau de la mémoire libre. Enfin, de nombreuses archives étaient uniquement disponibles sur papier. Donc, vous deviez traverser tout le site, pour avoir votre information.

Aujourd'hui, tout a été numérisé, automatisé, etc. De nombreuses taches chronophages ont disparu. Des métiers de "petites mains" (secrétariat, documentaliste, distributeur de courrier, etc.) ont été supprimés. En revanche, dans les services, le nombre d'employés n'a pas été réduit. Parfois, au contraire, il a augmenté.
Car désormais, les fonctions transverses se sont multipliées. Simplification des procédures, mise à jour des normes, traitement des problèmes de non-qualité, constitution d'un outil de reporting et autres bakayoke... Autant de projets qui durent des mois et qui feront très bien sur un rapport annuel. Au lieu de travailler sur leur métier, les cadres enchainent les réunions de suivi, les Excel, etc.

Le problème, c'est que parfois, il y a un vrai projet ! En général, on commence par le donner aux employés. Mais faute de temps - et de récompense en cas de succès -, ils ne s'en occupent pas. Alors il faut embaucher un presta dédié. Les entreprises ont du budget, pour les prestataires. Alors elles s'offrent des vieux hommes blancs, facturés à prix d'or par les cabinets. Dans les grands groupes, notre quadra, voire quinqua, se retrouve avec une équipe "diversifiée" et ayant l'âge de ses enfants. Pour eux, les "boomers" sont le mal incarné et les rapports sont franchement hostiles. En théorie, notre prestataire devrait disposer du support des employés. En pratique, ils l'envoient promener.
Les mois passent et le projet progresse. La hiérarchie commence à en parler. Alors, tels des chiens de prairies, les employés passent la tête. Ce n'est pas exactement une ITF. L'ITF, c'est l'apanage des managers et ils n'arrivent que lorsque le projet est achevé à 90%. Les chiens de prairie arrivent plus tôt. Rappelons qu'ils haïssent le presta et ils ne vont surtout pas lui demander un briefing ! Ils préfèrent s'inviter dans les réunions. Réunions qu'ils interrompent avec des questions idiotes. Et bien sûr, ils font attention à ne pas se mettre en action de rien ! L'objectif, c'est uniquement d'avoir son nom sur le compte-rendu. Ensuite, comme des chiens de prairies, ils retournent à leur tanière.

mercredi 16 juillet 2025

Le manager, ce travailleur pauvre


Au boulot, il est possible de payer par carte, à la machine à café. L'autre jour, quelqu'un avait oublié sa carte Visa Electron dans la machine. Je l'ai prise et je me suis approché d'un groupe de jeunes : "C'est à quelqu'un d'entre vous ?" Et à ma grande surprise, c'est une manager qui s'est approchée. Une manager avec une carte de retrait, avec autorisation systématique et découvert impossible ! Cette personne doit avoir une situation financière vraiment passable...

Il faut dire que financièrement, les Français sont dans une impasse. Les salaires stagnent et les dépenses augmentent en permanence, à commencer par les impôts.
Supposons que vous soyez cadre "senior". Vous avez un salaire annuel de 48 000€, ce qui est plutôt confortable... Du moins, en théorie. L'URSSAF permet de calculer les Pour que vous gagniez 48 000€, votre employeur dépense 65 215€. Votre salaire net, lui, est de 37 677€. Après impôts, il vous reste 33 787€, soit 2 815€ mensuels. De quoi payer un loyer de 930€.
Maintenant, vous êtes promu manager. La grille de salaire de l'entreprise est très rigide et vous voilà désormais à 50 000€. Pour vous octroyer une augmentation de 2 000€, votre employeur doit débourser près de 5000€, avec un total employeur de 70 920€ annuel. Votre net imposable, lui, il ne gagne que 1 500€, à 39 281€. Et votre salaire après impôt atteint 35 227€, soit 2 935€ mensuel. Pas de quoi déménager. Votre charge de travail a quasiment doublé, tout cela pour 100€ en plus par mois. 100€ qui seront sans doute absorbés l'année prochaine avec la révision de votre loyer.

Au-delà d'un certain niveau, lors des entretiens, vous évoquez à peine le salaire. Le treizième mois, les primes pour résultat, c'est fini. Après tout, cela financera surtout le Trésor Publique. La vraie question, c'est la voiture de fonction, la carte Total, le niveau des notes de frais, etc. D'ailleurs, le Trésor Publique les considère désormais comme des avantages en nature. L'inconvénient N°1, c'est qu'ils sont décorrélés de vos résultats. Que vous soyez un bon ou un mauvais manager, vous toucherez la même chose. D'où une tendance à l'aquoibonisme du kolkhoze : à rétribution égale, pourquoi se décarcasser ? L'inconvénient N°2, c'est que le salaire avec avantages en nature pris en compte par le Trésor Publique, c'est un salaire virtuel. Ce qui compte, pour votre banquier, c'est le chiffre en bas, à droite, de votre bulletin de salaire. Si vous n'aviez pas déjà contracté un emprunt immobilier, vous êtes marron.
En bas de l'échelle, on réclame aussi des avantages en nature : tickets restaurants, chèques vacances, pass culture... A défaut de gagner plus, on veut dépenser moins. Les crispations récentes sur leur utilisation démontre bien une préoccupation des Français. On en est au point où même la classe moyenne compte chaque euro.
En ce moment, vous avez le meme "c'est Nicolas qui paye". Il vise notamment les retraités, supposément adeptes de croisières au soleil. Beaucoup de retraités se défendent en disant qu'ils aident financièrement leurs enfants. En comptant vingt-cinq ou trente ans par génération, un retraité de soixante-dix ans a donc des enfants de quarante, voire quarante-cinq ans. On n'est plus sur des jeunes actifs qui ont besoin d'un coup de pouce ! On vit dans une France où des personnes ayant déjà une carrière professionnelle ont besoin d'aller quémander de l'argent de poche à leurs parents.

Lorsque j'ai démarré ce blog, les gens ne croyaient plus à l'ascension sociale par le salariat. Les plus jeunes rêvaient de l'argent facile de la télé-réalité. Puis il y a le temps des paris sportifs, des influenceurs. Récemment, j'étais dans une ville où le seul restaurant ouvert, c'était un casino. Je m'attendais à voir des mamies squatter les machines à sous. Mais il n'y avait quasiment que des jeunes de vingt, vingt-cinq ans.
Désormais, la question est de savoir si le salariat est financièrement viable pour un junior. A quoi bon travailler, si c'est pour avoir des fins de mois difficiles, même à quarante ans, même en temps que manager ? Telle cette femme avec sa carte Visa Electron.

mardi 15 juillet 2025

Mon voisin du jour


En ce moment, je suis en prestation dans une entreprise ayant de nombreux sites. Le plateau presta sert également d'espace de coworking pour les employés venus d'autres sites.

L'autre jour, j'avais ainsi un voisin pour la journée. D'ordinaire donc, il travaille sur un autre site. C'est un quinquagénaire qui travaille en mi-temps thérapeutique.
Son histoire, il la racontait à qui voulait l'entendre. Il y a quelques années, il était manager. Sa femme a été atteinte d'un cancer foudroyant. Il a du poser des congés pour l'accompagner dans ses derniers moments. Puis la femme de sa vie, la mère de ses enfants, s'est éteinte. Lorsqu'il a repris le travail, ses collègues n'ont exprimé aucune empathie. Quelqu'un - qui ne connaissait pas le motif de son congé - lui a demandé : "C'était bien, les vacances ?"
Ca l'a dévasté. Il est tombé en dépression et il effectua un long arrêt-maladie. Un an plus tard, il a repris une nouvelle fois le travail. Il a été muté et il n'est plus manager. Ses anciens collègues l'ont oublié.

En fin d'après-midi, son N+1 est arrivé. Particularité : ce N+1 est basé sur mon site. Le N+1 aurait l'âge d'être le fils de mon voisin du jour. Comme ils se voient rarement, mon voisin a raconté de nouveau son parcours. Le N+1 était gêné. Ils n'étaient pas assez proche pour qu'il veuille connaître sa vie intime. Plus prosaïquement, le N+1 voyait bien que l'autre était entre deux arrêts-maladie. Tôt ou tard, il va décrocher de nouveau et le N+1 devra confier sa charge de travail aux autres. Au moins, le N+1 n'accuse pas l'autre de simuler.
Ce voisin avait aussi un côté Yves. Sa carrière professionnelle est derrière lui, mais il doit attendre encore une bonne dizaine d'années avant la retraite. Nonobstant une énième réforme sur l'âge de départ. Ses anciens camarades l'ont abandonné. Il n'est plus qu'un boulet, qu'on se refile de service en service.

Le lendemain, j'ai vu une de ces séries US, à la TV. Le héros demandait à son chef d'être le témoin de son mariage. Tout le service était présent à la cérémonie. Le chef en question, très paternel, donnait au passage des conseils au héros.
Quel contraste avec cet éphémère voisin, complètement isolé et dont tout le monde se fiche ! Quel contraste aussi entre ce chef, patriarche charismatique et ce N+1 couard, qui a été formé à coups de vidéos !

lundi 30 juin 2025

L'enfer des bureaux modernes


Il y a quelques années, j'avais évoqué l'enfer des plateaux de travail "start-up". Hélas, depuis, ça s'est généralisé.

Tous les jours, on vous parle du changement climatique. Pour lutter contre lui, il faut être "sobre". En entreprise, cela signifie consommer moins d'électricité, d'eau, émettre moins de déchets, etc. A priori, jusqu'ici, tout le monde est pour. Dans les secteurs primaire et secondaire, cela signifie revoir les méthodes de production. Trouver des processus innovants pour utiliser moins, jeter moins. Mais en France, les deux tiers des emplois sont dans le tertiaire.

Or, les directives ne disent pas : "Les industries les plus consommatrices doivent faire des efforts." Mais : "TOUTES les entreprises doivent faire des efforts." Donc, au lieu d'optimiser les méthodes de production, on rogne sur la qualité de vie au bureau.

Premier poste de dépense : le chauffage. L'isolation ne suffit pas. Désormais, l'hiver, le thermostat est bloqué à 19° et l'été, il ne descend pas en dessous de 26°. Les anglo-saxons s'étonnent toujours de cette détestation très française de la climatisation. En attendant, l'hiver, vous grelottez. Car c'est 19° MAXIMUM. Et pendant la nuit, le chauffage est coupé. Le matin, vous pénétrez donc dans un frigo. L'été, c'est l'inverse. Avec une bonne odeur de transpiration dans les open-space ! 
L'eau, cela concerne surtout les toilettes. Avec les chasse d'eau économiques, vous gros caca refuse d'être évacué. Et ensuite, les gouttelettes du lavabo optimisé mettent du temps à laver vos mains. Pour l'hygiène, ce n'est pas top... Bien sûr, la plomberie écologique est rapidement bouchée et ça déborde de partout.
Les photocopieuses et les imprimantes se sont raréfiées. Souvent, vous avez des quotas d'impressions. Tant pis pour les métiers techniques. Dans les BE, on entend : "Je dois imprimer un truc, mais j'ai plus de quota. Et toi ? - Moi, il me reste à peine deux pages, alors que je suis sur quelque chose..." Alors au final, il faut utiliser le login du chef de service ou du presta parti le mois dernier (en attendant que l'informatique n'écrase son compte.) Evidemment, l'entreprise ne donne plus de carnets, de cahiers ou de stylo.
Et maintenant, cela touche les déchets. Terminé, les corbeilles dans chaque bureau ! On est passé aux poubelles de tri sélectif. Mais même elles, elles se sont raréfiées. Car s'il y a moins de poubelle, les gens y réfléchiront à deux fois, avant de jeter, non ? Au contraire, c'est le règne du chacun pour soi. Les habitués de Deliveroo n'ont aucun scrupule à remplir l'une poubelle de l'étage. Ils déposent leurs gros sacs comme cela, sans même écraser les emballages à l'intérieur. En fin de journée, il y a une montagne de détritus sur la poubelle, voire autour de la poubelle.
Et attention à l'électricité ! Certaines entreprises vous interdisent de recharger votre portable personnel.

Vous avez donc l'impression de travailler dans une ruine, le charme de l'ancien en moins. Pas le genre d'endroit où vous vous épanouissez. Et après, les DRH s'étonnent du turnover...

mardi 22 avril 2025

People think I'm insane because I am frowning all the time...


Après un ou deux licenciements, vous avez peur à chaque "face to face". Dès que votre N+1 veut vous prendre à part, dès que vous avez fait une connerie, vous vous dites : "Ca y est, c'est la fin. Il va me dégager."

Avec le temps, cela s'empire. Surtout si vous êtes prestataire

Car les conditions de travail des prestas ne cessent de se dégrader. Auparavant, ce n'était déjà pas Byzance, mais ils ont réussi à faire pire ! Des cabinets de prestation encore plus miteux. Des commerciaux avec encore plus de turnover et encore moins d'empathie pour les consultants sous leur responsabilité. D'ailleurs, vous ne les rencontrez même plus ; vous ne les connaissez que de Teams. Des missions encore plus précaires, avec des contrats plus courts et moins de pénalités pour rupture anticipé. Et bien sûr, toujours moins de perspectives au-delà de la mission actuelle.
Avant, le commercial venait vous convoquait au siège. Ou bien, il se déplaçait jusqu'à l'entreprise où vous étiez en mission, pour une réunion avec votre responsable côté entreprise cliente. A l'approche de ce genre de rendez-vous, vous saviez vous préparer mentalement au pire.
Mais maintenant, il n'y a plus de filet. Un jour, votre N+1 (côté entreprise cliente) vous fait de grands sourires. L'après-midi même, votre responsable (côté cabinet) vous appelle : "Allo ? J'ai vu avec le client. Ta mission s'arrête. Ton responsable va reprendre ton badge. Puis tu passeras au siège pour nous rendre ton ordinateur et signer les papiers..." Parce qu'il n'y a plus de préavis ou de handover. Les deux licenciements ont lieu le même jour !

Evidemment, le licenciement n'est que la partie émergée de l'iceberg. On vous licencie car en coulisse, l'entreprise cliente a trouvé quelqu'un d'autres ou négocié votre rupture de contrat de prestation. Parfois pendant des semaines. Et entièrement à votre insu. Ce n'est même pas parce que vous faisiez mal votre travail.
Personne n'a envie d'être le dindon de la farce. Alors vous cherchez des signes avant-coureur. Vous devenez paranoïaque. Votre responsable est souvent en réunion ? C'est parce qu'il voit des candidats en entretien ! Vous avez reçu un courrier en recommandé ? C'est une lettre de licenciement ! Vos collègues sont soudainement distants ? C'est parce qu'ils savent que vous allez partir ! Votre charge de travail diminue ? C'est parce que vous allez partir prochainement, alors on ne vous confie plus rien ! Le commercial vous laisse un message où il vous dit de le rappeler ? C'est pour annoncer qu'il vous dégage !
Vous passez ainsi votre journée à vous faire peur. A voir de la mise au placard partout. Vous êtes constamment sur vos gardes. Le soir, vous êtes soulagé : ça ne sera pas aujourd'hui. A la longue, c'est usant pour vos nerfs. Le jour où la mission s'arrête, vous êtes presque détendu : l'épée de Damoclès a disparu. En attendant, vous vous impliquez peu dans votre mission. Après tout, à quoi bon s'attacher à un travail qui peut s'arrêter net ? A quoi bon sympathiser avec des gens qui vont comploter dans votre dos ? A quoi bon apprécier un site dont vous pourriez être chassé aujourd'hui même ?

lundi 10 mars 2025

Team building


Cet article de Les Echos évoquait le "team building".

Le "team building" est apparue aux Etats-Unis, dans les années 80. Il revient en force. A l'heure du télétravail, les entreprises veulent renforcer la cohésion de leur équipe. Il sert aussi à mieux intégrer les nouveaux et à réduire le turnover. Enfin, on lui prête des vertus de lutte contre le burn out. En tout cas, les entreprises y croient ! C'est censément un de ces choses magiques, comme le baby-foot dans la salle de pause ou la corbeille de fruits bio. Les salariés, eux, sont forcément plus timorés.
Sachez que le "team building" recoupe des situations très hétérogènes. Le seul fil conducteur, c'est la participation de salarié à des activités extra-professionnelle. Dans l'industrie, ça peut être une journée de découverte d'application pratique de vos produits (par exemple : un tour en avion, pour un sous-traitant de l'aéronautique.) Côté activité, cela va de l'atelier crêpes au stage commando ! Il y a des structures spécialisées dans l'intervention en entreprise, toute l'année. Les activités en extérieur profitent du team building pour lisser leur activité ; elles proposent donc des tarifs plus attractifs à la saison creuse (cf. le canyoning au début du printemps ou à la fin de l'automne...) Dans les PME, on aura tendance à faire défiler chaque service dans un même atelier. Au moins, cela fera des conversations à la machine à café : "lorsqu'on a mis les masques dans le bol de colle, Jean-Mi en a mis partout !" Dans des grands groupes, il peut y avoir des jeux où un service sera retrouve face à leurs homologues d'un autre site. Il peut y avoir une "session de team building" à l'issue d'une journée de séminaire. Parfois, chaque manager peut disposer d'un "budget team building" avec obligation d'organiser n activités par an. Parfois aussi, le simple verre après le boulot est considéré comme du "team building".

Les plus vieux sont les plus réservés. Ils n'aiment pas ce mélange des genres entre vie professionnelle et vie privée. Car le manager est là et il enregistre tout. D'ailleurs, le "team building" est théoriquement facultatif, mais refuser de le faire aura des conséquences. Lorsqu'un employeur veut se débarrasser d'un employé, il clame qu'il ne "s'intègre pas dans l'équipe"... Refuser un team-building, c'est signer son arrêt de mort !
Plus prosaïquement, si le team building a lieu hors des horaires de travail, cela posera problème. Pas facile, pour une mère célibataire de rentrer tard chez elle, un soir de semaine. Et le divorcé ne sera pas content de louper un tour de garde à cause du boulot...
Les quadragénaires et quinquagénaires sont minoritaires, dans les grandes entreprises. Donc ils ont rarement voix au chapitre, en matière de choix. Donc ils se sentiront généralement mal à l'aise lors de l'escape-game (sur le thème de la dernière série de Netflix) ou de l'accrobranche. Et pendant ce temps, ils voient les autres s'amuser. Au lieu de s'intégrer, ils auront donc tendance à se sentir davantage isolés.

Les plus jeunes, eux, ont moins de retenus. Surtout lors d'activités en extérieur. C'est le moment où l'on se trouve des surnoms, qui vous colleront des mois à la peau. Ils n'hésitent pas à chahuter le manager au-delà du raisonnable. Mais pour eux, le team building n'a aucune implication à long terme. C'est du loisir TikTok : je like, puis je passe à autre chose. Ils ont bien compris que les entreprises ne récompensent pas la fidélité. Que faute de promotions ou d'augmentations, il faut changer d'entreprise pour progresser. Le team building n'a rien de propre à une entreprise et ailleurs, ils retrouveront le même type d'activités. Il n'est pas rare que dans les semaines qui suivent, le joyeux drille du team building annonce sa démission.

Les prestas, eux, ils jouent les spectateurs. Surtout les plus chevronnés. Ils ont conscience qu'ils ne feront jamais vraiment parti de l'équipe. Qu'il s'intègre ou pas, il ne passera jamais interne.
Le pire des cas, c'est celui où le presta n'est pas invité au team building. Et le lundi matin, il voit ses collègues se raconter des anecdotes qu'eux seuls ont vécu. La fin de la mission promet d'être longue.
Il y a aussi toutes les personnes à cheval sur le service : une personne de l'équipe qui travaille sur un autre site ou bien qui est rattachée à un autre service. Si elle n'est pas invitée, elle aura de la rancœur. Loin de renforcer la cohésion, le team-building a plutôt tendance à créer un fossé entre l'équipe et les autres.

Enfin, il y a les managers. Certains voient le team-building comme une corvée. A la dernière réunion, le directeur a rappelé que son service n'a pas fait de team building depuis un certain temps, donc impossible d'y couper ! Comme s'ils avaient du temps à perdre là-dedans. Parce qu'en plus, un team-building, ça se prépare ! Et avec leur bol, le jour J, ils vont faire équipe avec le subordonné qu'ils aiment le moins... Dans les activités en extérieur, cela vire presque au baby-sitting, avec ceux qui se blessent, ceux qui paniquent, ceux qui perdent leurs affaires... En prime, team-building ou pas, ils ont du reporting à faire. Ah, la joie de travailler jusqu'à minuit, après une journée de rafting ou un concours de teq'fap' ! Les plus jeunes sont davantage partants. D'ailleurs, ce sont souvent eux qui sélectionnent l'activité. Mais ensuite, c'est compliqué de remettre des barrières avec ses subordonnés. 
En tout cas, ils ne croient pas aux vertus du team-building. Et eux aussi, ils ont le nez dans les offres d'emploi.