samedi 10 décembre 2022

Escalade², problème²

"Il faut escalader !" C'est une phrase que l'on entend souvent en entreprise. Mais ce n'est pas forcément une bonne chose...

La vie classique d'une entreprise est faite de conflits avec d'autres entreprises. Des factures impayés qui s'accumulent, une livraison incomplète ou d'un produit défectueux, un service qui n'est pas effectué dans les temps... Ce sont des petits tracas du quotidien.

Moi, je suis de la vieille école. Celle où un cadre devait résoudre lui-même ses problèmes. C'était cette esprit d'initiative qui distinguait le cadre du vulgum pecus. Dire "M'sieur, m'sieur, il m'embête", c'était un aveux d'échec. Pourtant, j'ai l'impression que les procédures d'escalade se multiplient et se systématisent. Avec quatre symptômes :
1) La raison principale, c'est la culture du consensus. Le conflit est interdit. Cela donne des employés qui ne savent plus hausser le ton à bon escient. Voire parfois, qui sont surpris de découvrir qu'il existe des pierres d’achoppement. Donc ils tirent le signal d'alarme.
2) La variante du 1), c'est le "je vous l'avais bien dit". Un employé ayant un peu d'expérience sent d'emblée qu'une situation peut déraper. Mais parfois, les actions préventives sont difficile à mettre en place. Notamment l'employé, même senior, possède souvent peu de marge de manœuvre. Donc, il voit lentement mais sûrement le mur arriver et une fois dans le mur, il peut enfin bénéficier d'un soutien.
3) Sur les cas récurrents, les causes du conflit sont plus profondes. Il faudrait mettre en place une vraie équipe projet. Par exemple : un contrôle de sortie plus poussé, afin d'éviter les erreurs d'expédition. Mais la volonté n'est pas là. Alors l'employé doit éteindre un feu de forêt avec un jet d'eau.
4) La variante du 1) et du 3), c'est que l'employé est sous-dimensionné pour son poste (junior, quota...) C'est pour cela qu'il lève la main en permanence. Parfois, c'est même lui qui envenime un conflit a priori bénin.

Après, le N+1 n'est pas Superman ! Souvent, il ne sait pas davantage hausser le ton et il n'a pas de marges de manœuvre. L'arme du manager, c'est d'impressionner et de sonner la fin de la récré. Pour autant, s'il est sollicité au moindre accroc, la partie adverse s'inquiétera à peine, lorsqu'elle recevra un mail de lui.
Donc, on fait alors appel au N+2, voire au N+3. Du coup, certaines personnes s'impliquent dans l'affaire, au cas où il y ait quelque chose à en tirer. Pour peu que d'autres services interviennent, cela donne volontiers une usine à gaz, comme un mail avec dix personnes en copie ou des comités juste pour préparer un call... La conséquence, c'est une certaine pesanteur, vu que désormais, il faut que le N+3 valide chaque communication avec l'autre entreprise. Et des couacs, car parmi les nombreuses personnes en copie, il y a toujours des francs-tireurs.
Et je suis d'autant plus critique envers les processus d'escalade que plus vous montez haut, moins vous obtenez de résultat. Le N+3 n'est pas là pour s'occuper du day-to-day. Soit il bloque tout, car faute de connaissance du sujet, ses demandes sont inacceptables. Soit il trouve un soi-disant compromis avec son homologue, qui correspond peu ou prou aux exigences initiales de l'autre entreprise (et généralement, c'est l'un puis l'autre.)

mercredi 16 novembre 2022

Consultant démotivé


C'est une variante du blues du zappé : vous avez un travail, mais vous savez que c'est une impasse, parce que vous êtes prestataire.

Dans vos premières missions de prestations, vous étiez mo-ti-vé ! Chez le client, vos collègues étaient presque tous d'anciens prestas. Donc, vous aussi, vous aviez votre chance, si vous étiez travailleur. Vous vous impliquez chez le client (et futur employeur, non ?), au-delà de votre périmètre. Au pire, pas de problème : le cabinet de consultants avait ses entrés chez plein de grands groupes. D'ailleurs, là, vous êtiez un peu surdimensionné pour cette mission. Mais ce devait être le début d'une grande aventure...

Qu'est-ce que vous étiez naïf !

Maintenant, vous avez l'impression de vivre toujours la même histoire. Le cabinet de consultant dont vous n'aviez jamais entendu parler. Le commercial au sourire carnassier, qui sera parti dans deux mois. La mission qu'on vous avait survendu. Vous savez bien qu'ils ne vous embaucheront jamais. D'abord, vous êtes trop vieux. Et depuis peu, le problème, c'est que vous êtes trop blanc. Sans oublier les situations où les embauches sont gelées (PSE, fusion/acquisition, déménagement...) La question n'est pas de savoir si la prestation va mal se finir, mais quand...
Au mieux, vous serez prolongé d'un, deux, voire trois mois. Si vous dépassez les six mois, ça vous ouvrira de nouveaux droits à Pole Emploi. Le miracle, ça serait de dépasser la période d'essai. Là, ça serait rupture conventionnelle, avec préavis et compensation. D'ailleurs, les cabinets de conseil font tout pour que ça n'arrive pas (prolongation de la période d'essai, comptage des congés et du chômage partiel...) Une fois la période d'essai finie, n'hésitez pas à demander une attestation...
Le pire scénario, c'est la mission qui s'arrête au bout de quelques semaines. Là, c'est le licenciement express. Vous êtes viré, vous ne repassez pas par la case départ, vous ne touchez pas d’indemnités.

Alors vous vous habitués à naviguer à vue. Vous écoutez à peine le commercial. Vous vous impliquez (et vous vous appliquez) à peine chez le client. Vous voyez défiler les gens et vous ne retenez ni les visages, ni les prénoms. Au point où vous appelez un collègue du nom d'une personne croisée dans une ancienne mission. Au point où vous envoyez votre demande de congé à la RH d'un cabinet où vous étiez précédemment.
Vous n'avez non plus rien à fiche de tel petit chef infect : de toute façon, dans n mois, il ne sera plus qu'un souvenir. Un surcroit temporaire d'activité ? Vous l'avalez, car ensuite, lorsque vous serez au chômage, vous aurez tout le temps de vous reposer...
Paradoxalement, ce côté complètement dépassionné et complètement blasé peut plaire au client. Au moins, vous faites ce qu'on vous dit de faire, sans jamais vous plaindre. Et ça vous vaudra une prolongation de mission !

samedi 12 novembre 2022

Vous êtes doublement viré !

Qu'est-ce qu'il y a pire que de se faire virer ? Une fin de mission de consulting !

Normalement, en tant que consultant, vous devriez avoir des points réguliers avec votre chef (côté client) et le commercial qui vous suit (côté consulting.)
En pratique, il y a un point en début de mission, puis plus rien. Le deuxième point est annulé, car le commercial est trop occupé. Le troisième se limite à un coup de téléphone : "Salut, tout se passe bien ? - Oui. - OK, au revoir." Peu après, un mail vous apprend que "votre" commercial a quitté l'entreprise. Un second débarque. Un point est planifié avec votre chef et vous. Ça y est, enfin du suivi ! Vous allez pouvoir vider votre sac !
Sauf que le jour J, à peine assis, le commercial et le responsable se regardent d'un air entendu : "Donc, on s'est mis d'accord. On arrête la mission."
Au moins, ils n'ont pas tourné autour du pot. Votre N+1 (côté client), il vous a toujours considéré comme un appui provisoire ; il a donc moins de scrupules à vous dégager qu'un interne. Quant au commercial, lui, il ne vous a jamais vu. Toutes les semaines, il a des missions de prestations qui débutent, qui s'achèvent... Il ne fait donc pas plus de sentiments que ça.
Vous, de votre côté, c'est un coup de massue. En plus, il n'y a pas de préavis pour une fin de mission. Une fois, on m'a carrément dit de laisser sur-le-champ mon badge et mon ordi, puis de rentrer chez moi ! 9 fois sur 10, vous êtes encore en période d'essai. Les boites de consulting savent bien qu'une mission dure en moyenne 6 mois. Donc, en prolongeant la période d'essai (4+4 mois chez les cadres), vous êtes sûr que le consultant n'aura pas fini son essai. Donc ça sera le deuxième dernier jour... Au mieux, si votre essai est terminé et que le commercial a vraiment d'autres missions à vous proposer, vous vous sentez trahi. Vous pensiez faire parti de l'équipe et le responsable vous parlait franchement. Non, il a comploté dans votre dos, avec le commercial.

lundi 7 novembre 2022

You're... Fired !

Ce blog existe depuis 8 ans. J'ai évoqué le préavis de départ et le dernier jour, mais curieusement, jamais l'entretien de licenciement.

Les entreprises ne licencient quasiment plus des gens en poste. Le licenciement pour faute est assez bancal. Au pire, on préfère une rupture conventionnelle. Ceux que l'on vire, par contre, ce sont les précaires : intérimaires, CDD, prestataires, personne en période d'essai...

Imaginez la scène. Vous arrivez le matin, comme si de rien n'était. Ce n'est pas le meilleur boulot du monde, mais c'est un boulot ! Vous étiez content d'avoir remis le pied à l'étrier. Ça va mieux, financièrement. Vous osez même faire des projets à moyen terme, comme de planifier vos premières vraies vacances estivales, depuis longtemps. Bien sûr, vous n'êtes pas le meilleur employé du monde. Mais il y a pire...
La journée est banale. Telle commande est en retard. Il y a des frites à la cantine. Les nouveaux porte-clefs de la boite sont arrivés.

Puis c'est l'entretien avec votre N+1.  En général, il commence par tourner autour du pot : "X, vous êtes quelqu'un qui a du talent, mais..." Vous prenez des notes, mentalement : "Pas assez rapide ? OK, je vais m'améliorer." Puis vous remarquez qu'il parle de vous au passé. Intérieurement, vous niez l'évidence, même si vous aviez déjà connu ça, ailleurs : "Non, c'est juste un recadrage. Je suis un de leurs meilleurs éléments..."
C'est là qu'il ressort la grosse boulette que vous aviez fait. Une vraie banderille. Vous êtes désormais à terre.
C'est à cet instant qu'il vous achève : "...Donc, nous avons décidé d'arrêter là notre collaboration." Le ton est rarement agressif. Votre N+1 avait déjà fait le deuil de vous. La décision est prise, vous aurez beau ramper, votre chef ne reviendra pas dessus. D'ailleurs, s'il vous vire, c'est souvent qu'il déconsidérait votre travail.
Il vous fait signer le compte-rendu de l'entretien disciplinaire, comme si c'était un vulgaire papier. Certains vous demandent d'ailleurs de quitter le bureau immédiatement : "Va pleurer ailleurs, j'ai du boulot !" D'autres, faussement empathiques, enfilent les lieux communs : "Ce n'est qu'une épreuve, tu vas rebondir. Ailleurs."

Votre monde s'effondre. Cette routine qui s'était mise en place, au boulot. Les projets. Tout est fini. Et surtout, c'est un retour à la case chômage. Vous êtes à la fois triste et en colère. Votre journée défile. Tout vous semble si futile, avec le recul...

A la longue, vous guettez des signes : un dialogue rompu avec votre N+1, un nouveau-venu qui reprend tout votre travail ou tout simplement, un "face to face" complètement inhabituel... Dans une entreprise, deux des mes collègues venaient de se faire licencier. L'un le lundi, l'autre, le mardi. Donc, lorsqu'on m'a convoqué, le mercredi... Il m'est même arrivé d'aller à un entretien, persuadé d'y être viré, alors que ce n'était qu'un point normal ! Et à l'opposé, une fois, j'étais convoqué en fin de journée, le dernier jour de mon CDD. Mes collègues avait signé un CDI. Et moi, on m'a dit de laisser là mon badge, puis de partir sur-le-champ !

mercredi 12 octobre 2022

Mensonge : il faut savoir s'arrêter à temps

Mentir pour décrocher un boulot, c'est presque vital si vous êtes un zappé. C'est éthiquement discutable, mais c'est un outil pour réussir un entretien. Pour autant, l'idée, c'est que ça doit rester une solution provisoire. Personnellement, m'inventer une bonne expérience, ça m'a permis d'obtenir un bon boulot. Et par la suite, je n'ai plus eu besoin d'utiliser cette expérience inventée.

D'ailleurs, une fois que vous êtes en poste, on reviendra rarement sur vos expériences passées. Sauf si, lors de votre formation, on vous demande si vous avez déjà utilisé tel outil, si vous avez connu telle situation, etc.
Aussi, évitez de trop comparer votre entreprise avec vos expériences passées. Surtout si la comparaison est défavorable à votre entreprise actuelle.

La grosse erreur du mythomane, c'est de revenir en permanence sur son parcours merveilleux. Il a envie d'être le centre d'attention. Chez lui, le mensonge, c'est un art de vivre. Sauf qu'à force, il commet des erreurs grossières. Lorsque vous commencez à avoir des doutes sur quelqu'un, vous faites attention à tous les détails qui clochent. Et très vite, la personne a perdu toute crédibilité à vos yeux. A partir de là, lorsque vous n'avez plus confiance dans un manager, un collègue ou un subordonné, la relation est rompue. Cela peut aller jusqu'au licenciement du mythomane.

dimanche 2 octobre 2022

"Et vous vous voyez où, dans 5 ans ?"

Les entretiens se déroulent suivant un classique schéma : le vous, moi, nous.
Dans la première étape, vous allez évoquer votre CV. Ensuite, l'entreprise se présente. Puis vient une série de questions/réponses pour voir si vous êtes en adéquation avec l'entreprise.

Avec l'age, la pire, c'est le "vous vous voyez où, dans cinq ans ?"
A la sortie des études, c'est facile : vous voulez gravir les échelons, avoir des responsabilités et gagner un max !
Après quarante ans, c'est déjà plus compliqué. Vous approchez de votre point de Peter. Les possibilités de progression sont plus faibles. Au-delà de cinquante ans, vous commencez à songer à la retraite. Vous voulez surtout de quoi vous permettre de compléter votre compteur de trimestres.

Mais moi, récemment, j'ai eu un gros blancs en entretien. Où serai-je dans cinq ans ? Probablement au chômage ! Je suis un zappé. Je n'ai quasiment connu que des missions de prestation. Au bout de six mois, neuf mois, je dois refaire mon baluchon, avec le "double-dernier jour". Je n'ai jamais été en position de pouvoir être promu, quant à avoir un déroulé de carrière...
Tout en écrivant ce post, j'ai cherché une analogie dans l'invraisemblance. Mais autant je peux imaginer qu'il n'y ait plus de gravité ou que les zombis débarquent, autant je n'arrive pas à visualiser une entreprise où je resterai cinq ans !

jeudi 8 septembre 2022

La théorie du radeau

Les jeunes se plaignent volontiers que l'entreprise, c'est un monde trop dur. Un monde de compétitivité, où il faut faire bien du premier coup et où les moins bons se retrouvent vite écarté... Mais c'était plus dur avant !

Garrett Hardin fut un des pionniers de l'écologie. En 1968, il publia La tragédie des biens communs, consacré à la surpopulation. En 1974, il l'illustra par un article baptisé "l'éthique du canot de sauvetage". Cinquante personnes (les pays riches) sont dans un canot, cernés de naufragés (qui représentent les pays du tiers-monde.) Il n'y a pas assez de place pour les faire monter à bord. Qui décide-t-on de sauver ? L'idée étant d'alarmer les gens. Il n'y a pas assez de ressources, sur terre, pour que tout le monde vive correctement. Si l'on continue, on finira par devoir trier les gens.
Ce qui était à l'origine une métaphore sur la surpopulation et la rareté des ressources, devint un outil managérial. On parla de "Théorie du radeau" ou "Théorie du canot de sauvetage". Il n'y a plus cinquante personnes à bord, mais une seule : le manager. Son équipe est dans l'eau, promise à une mort certaine. A bord du canot, il n'y a de place que pour la moitié de l'équipe. Quelles sont les personnes qu'il laisse monter à bord ? Pourquoi les a-t-il choisi ? Quels sont ceux qu'il laisse crever et pourquoi eux ?
L'idée générale, c'est la performance, un mot-clef des années 80. Si les résultats de votre force de vente plafonnent, il ne faut pas embaucher davantage. Il faut repérer les traine-savates, les éliminer et les remplacer par des gens motivés. La Théorie du radeau sert à déculpabiliser le manager. Comme chez Garrett Hardin, si tout les naufragés sont sauvés, tous les occupants du canot finiront par mourir, faute de ressource. Le manager doit se déculpabiliser de renvoyer des employés, la pérennité de l'entreprise mérite quelques sacrifices.

Vu d'aujourd'hui, cette théorie du radeau semble brutale. Les livres qui en parlaient ont été passé au pilon. Un licenciement, c'est désormais aussi un échec pour le manager. Aucun manager n'oserait se débarrasser simultanément de plusieurs employés. Il risquerait d'être immédiatement convoqué.
La tendance, c'est davantage d'adapter son management à son équipe (et non l'inverse.) C'est le padevaguisme, quitte à devoir monter une usine à gaz, car vous avez un employé flemmard. Pour contourner ce tabou du licenciement, le manager aura tendance à s'appuyer sur des précaires (prestataires, CDD, alternants...), car eux, il peut les écarter.
Mais comme le disait Garrett Hardin, l'absence de choix finit par être mortel pour l'ensemble de l'organisation. A quoi bon se donner à fond, si certains sont à 60%, voire à 40% ? A terme, ce sera tout le service qui sera à 40%...