lundi 7 novembre 2022

You're... Fired !

Ce blog existe depuis 8 ans. J'ai évoqué le préavis de départ et le dernier jour, mais curieusement, jamais l'entretien de licenciement.

Les entreprises ne licencient quasiment plus des gens en poste. Le licenciement pour faute est assez bancal. Au pire, on préfère une rupture conventionnelle. Ceux que l'on vire, par contre, ce sont les précaires : intérimaires, CDD, prestataires, personne en période d'essai...

Imaginez la scène. Vous arrivez le matin, comme si de rien n'était. Ce n'est pas le meilleur boulot du monde, mais c'est un boulot ! Vous étiez content d'avoir remis le pied à l'étrier. Ça va mieux, financièrement. Vous osez même faire des projets à moyen terme, comme de planifier vos premières vraies vacances estivales, depuis longtemps. Bien sûr, vous n'êtes pas le meilleur employé du monde. Mais il y a pire...
La journée est banale. Telle commande est en retard. Il y a des frites à la cantine. Les nouveaux porte-clefs de la boite sont arrivés.

Puis c'est l'entretien avec votre N+1.  En général, il commence par tourner autour du pot : "X, vous êtes quelqu'un qui a du talent, mais..." Vous prenez des notes, mentalement : "Pas assez rapide ? OK, je vais m'améliorer." Puis vous remarquez qu'il parle de vous au passé. Intérieurement, vous niez l'évidence, même si vous aviez déjà connu ça, ailleurs : "Non, c'est juste un recadrage. Je suis un de leurs meilleurs éléments..."
C'est là qu'il ressort la grosse boulette que vous aviez fait. Une vraie banderille. Vous êtes désormais à terre.
C'est à cet instant qu'il vous achève : "...Donc, nous avons décidé d'arrêter là notre collaboration." Le ton est rarement agressif. Votre N+1 avait déjà fait le deuil de vous. La décision est prise, vous aurez beau ramper, votre chef ne reviendra pas dessus. D'ailleurs, s'il vous vire, c'est souvent qu'il déconsidérait votre travail.
Il vous fait signer le compte-rendu de l'entretien disciplinaire, comme si c'était un vulgaire papier. Certains vous demandent d'ailleurs de quitter le bureau immédiatement : "Va pleurer ailleurs, j'ai du boulot !" D'autres, faussement empathiques, enfilent les lieux communs : "Ce n'est qu'une épreuve, tu vas rebondir. Ailleurs."

Votre monde s'effondre. Cette routine qui s'était mise en place, au boulot. Les projets. Tout est fini. Et surtout, c'est un retour à la case chômage. Vous êtes à la fois triste et en colère. Votre journée défile. Tout vous semble si futile, avec le recul...

A la longue, vous guettez des signes : un dialogue rompu avec votre N+1, un nouveau-venu qui reprend tout votre travail ou tout simplement, un "face to face" complètement inhabituel... Dans une entreprise, deux des mes collègues venaient de se faire licencier. L'un le lundi, l'autre, le mardi. Donc, lorsqu'on m'a convoqué, le mercredi... Il m'est même arrivé d'aller à un entretien, persuadé d'y être viré, alors que ce n'était qu'un point normal ! Et à l'opposé, une fois, j'étais convoqué en fin de journée, le dernier jour de mon CDD. Mes collègues avait signé un CDI. Et moi, on m'a dit de laisser là mon badge, puis de partir sur-le-champ !

mercredi 12 octobre 2022

Mensonge : il faut savoir s'arrêter à temps

Mentir pour décrocher un boulot, c'est presque vital si vous êtes un zappé. C'est éthiquement discutable, mais c'est un outil pour réussir un entretien. Pour autant, l'idée, c'est que ça doit rester une solution provisoire. Personnellement, m'inventer une bonne expérience, ça m'a permis d'obtenir un bon boulot. Et par la suite, je n'ai plus eu besoin d'utiliser cette expérience inventée.

D'ailleurs, une fois que vous êtes en poste, on reviendra rarement sur vos expériences passées. Sauf si, lors de votre formation, on vous demande si vous avez déjà utilisé tel outil, si vous avez connu telle situation, etc.
Aussi, évitez de trop comparer votre entreprise avec vos expériences passées. Surtout si la comparaison est défavorable à votre entreprise actuelle.

La grosse erreur du mythomane, c'est de revenir en permanence sur son parcours merveilleux. Il a envie d'être le centre d'attention. Chez lui, le mensonge, c'est un art de vivre. Sauf qu'à force, il commet des erreurs grossières. Lorsque vous commencez à avoir des doutes sur quelqu'un, vous faites attention à tous les détails qui clochent. Et très vite, la personne a perdu toute crédibilité à vos yeux. A partir de là, lorsque vous n'avez plus confiance dans un manager, un collègue ou un subordonné, la relation est rompue. Cela peut aller jusqu'au licenciement du mythomane.

dimanche 2 octobre 2022

"Et vous vous voyez où, dans 5 ans ?"

Les entretiens se déroulent suivant un classique schéma : le vous, moi, nous.
Dans la première étape, vous allez évoquer votre CV. Ensuite, l'entreprise se présente. Puis vient une série de questions/réponses pour voir si vous êtes en adéquation avec l'entreprise.

Avec l'age, la pire, c'est le "vous vous voyez où, dans cinq ans ?"
A la sortie des études, c'est facile : vous voulez gravir les échelons, avoir des responsabilités et gagner un max !
Après quarante ans, c'est déjà plus compliqué. Vous approchez de votre point de Peter. Les possibilités de progression sont plus faibles. Au-delà de cinquante ans, vous commencez à songer à la retraite. Vous voulez surtout de quoi vous permettre de compléter votre compteur de trimestres.

Mais moi, récemment, j'ai eu un gros blancs en entretien. Où serai-je dans cinq ans ? Probablement au chômage ! Je suis un zappé. Je n'ai quasiment connu que des missions de prestation. Au bout de six mois, neuf mois, je dois refaire mon baluchon, avec le "double-dernier jour". Je n'ai jamais été en position de pouvoir être promu, quant à avoir un déroulé de carrière...
Tout en écrivant ce post, j'ai cherché une analogie dans l'invraisemblance. Mais autant je peux imaginer qu'il n'y ait plus de gravité ou que les zombis débarquent, autant je n'arrive pas à visualiser une entreprise où je resterai cinq ans !

jeudi 8 septembre 2022

La théorie du radeau

Les jeunes se plaignent volontiers que l'entreprise, c'est un monde trop dur. Un monde de compétitivité, où il faut faire bien du premier coup et où les moins bons se retrouvent vite écarté... Mais c'était plus dur avant !

Garrett Hardin fut un des pionniers de l'écologie. En 1968, il publia La tragédie des biens communs, consacré à la surpopulation. En 1974, il l'illustra par un article baptisé "l'éthique du canot de sauvetage". Cinquante personnes (les pays riches) sont dans un canot, cernés de naufragés (qui représentent les pays du tiers-monde.) Il n'y a pas assez de place pour les faire monter à bord. Qui décide-t-on de sauver ? L'idée étant d'alarmer les gens. Il n'y a pas assez de ressources, sur terre, pour que tout le monde vive correctement. Si l'on continue, on finira par devoir trier les gens.
Ce qui était à l'origine une métaphore sur la surpopulation et la rareté des ressources, devint un outil managérial. On parla de "Théorie du radeau" ou "Théorie du canot de sauvetage". Il n'y a plus cinquante personnes à bord, mais une seule : le manager. Son équipe est dans l'eau, promise à une mort certaine. A bord du canot, il n'y a de place que pour la moitié de l'équipe. Quelles sont les personnes qu'il laisse monter à bord ? Pourquoi les a-t-il choisi ? Quels sont ceux qu'il laisse crever et pourquoi eux ?
L'idée générale, c'est la performance, un mot-clef des années 80. Si les résultats de votre force de vente plafonnent, il ne faut pas embaucher davantage. Il faut repérer les traine-savates, les éliminer et les remplacer par des gens motivés. La Théorie du radeau sert à déculpabiliser le manager. Comme chez Garrett Hardin, si tout les naufragés sont sauvés, tous les occupants du canot finiront par mourir, faute de ressource. Le manager doit se déculpabiliser de renvoyer des employés, la pérennité de l'entreprise mérite quelques sacrifices.

Vu d'aujourd'hui, cette théorie du radeau semble brutale. Les livres qui en parlaient ont été passé au pilon. Un licenciement, c'est désormais aussi un échec pour le manager. Aucun manager n'oserait se débarrasser simultanément de plusieurs employés. Il risquerait d'être immédiatement convoqué.
La tendance, c'est davantage d'adapter son management à son équipe (et non l'inverse.) C'est le padevaguisme, quitte à devoir monter une usine à gaz, car vous avez un employé flemmard. Pour contourner ce tabou du licenciement, le manager aura tendance à s'appuyer sur des précaires (prestataires, CDD, alternants...), car eux, il peut les écarter.
Mais comme le disait Garrett Hardin, l'absence de choix finit par être mortel pour l'ensemble de l'organisation. A quoi bon se donner à fond, si certains sont à 60%, voire à 40% ? A terme, ce sera tout le service qui sera à 40%...

jeudi 18 août 2022

Les pires bureaux : 5) la start-up

Suite et fin de la série estivale sur les pire bureaux. On termine par la fausse-bonne idée à la mode. Autrement dit, l'enfer est pavé de bonnes intentions...

Imaginez, vous débarquez dans un quartier ultra-moderne. La station de métro vient d'être inauguré. Le site est flambant neuf, avec un food-truck bio et un simili-Starbucks, à l'entrée. Bienvenue dans le monde des start-up. Votre N+1, en jeans-basket, vous serre la main : "Bonjour, monsieur Durant... - Y'a pas de "monsieur Durant" ou même "d'Eric". Appelle moi "Rico" !" A priori, tous les indicateurs sont au vert, vous allez vous sentir bien, ici...

Premier souci : votre bureau ; vous n'en avez pas. La boite privilégie le nomadisme, afin d'optimiser l'espace. Après tout, tout le monde est en télétravail 2 jours par semaine, soit 60% du temps sur site (auxquels il faut retrancher les congés.) Il y a 150 bureaux pour 200 employés, soit 75% de remplissage.
Concrètement, le soir, vous prenez toute vos affaires et le lendemain, vous essayez de trouver un bureau dans la même zone... Mais le jour où vous êtes en retard, c'est la cata : après 9h30, c'est chacun pour soi... Car les 2 jours de télétravail, c'est un maximum : certains prennent 0 jours. Et les jours de "Town hall", mieux vaut être là. Certains vont jusqu'à laisser leur ordi, le soir, pour réserver une place. Et bien sûr, votre site accueille régulièrement des formations, ce qui signifie n personnes squattant tout un plateau, plusieurs jours...
Le site est plein ? Rico est cool, mais pas trop. Soit vous rentrez chez vous et vous posez un jour de télétravail, soit vous devez squatter une boquette (NDLA : un genre de cabine téléphonique moderne.) Maigre consolation : les managers ne sont pas mieux lotis.

Pour la machine à café, pas de gobelets : ce n'est pas responsable. Il faut apporter son mug et sa touillette. L'entreprise en fournit, mais ils ne respectent pas la nouvelle charte graphique de la société, alors ils ont été bennés. Le premier jour, on vous file le mug d'un absent, qui n'a pas été lavé depuis trois semaines...
Ah, l'écologie. C'est génial au quotidien. Pour économiser l'eau, il n'y a que six toilettes par étage. Et avec des chasses d'eau "écologiques" (qui ne chassent pas grand chose.) Donc à chaque fois, il y a un flotteur au fond de la cuve... A moins que le toilette ne soit pas carrément bouché (le PQ écologique étant plus épais.) Le chauffage, la clim ? Il faut économiser, pour protéger la planète ! Donc déjà, tout se coupe la nuit. Les lèves-tôt débarquent dans un frigo l'hiver et une étuve, l'été. Ensuite, le souffle asthmatique ne modifie guère le nombre de degrés. A vous les engelures, l'hiver et l'été, une bonne odeur de transpiration en fin de journée...
Et dire que lors du Town Hall, ils affichent fièrement les baisses de consommation énergétiques...

Au final, ce bureau flambant neuf est aussi agréable que la ruine. Sur l'indicateur "qualité de vie", les employés l'ont noté à 3/10. Mais soit vous tombez sur un patron qui s'y plait, soit le patron est au bout du monde. En tout cas, aucun travaux ne sera fait.
D'ailleurs, qui oserait dire : "Je m'en fous de la planète ! Je veux mon bureau ! Je ne veux pas voir le caca de mon prédécesseur aux toilettes ! Et je veux travailler avec une chaleur à 20° toute l'année !" Alors les gens s'expriment avec leurs pieds...

dimanche 14 août 2022

Les pires bureaux : 4) moving, just keep moving...


Suite de la série sur les pires bureaux... Jusqu'ici, j'ai évoqué des locaux où d'emblée, vous percevez un problème. Mais souvent, c'est plus subtil.

L'une des caractéristiques des PME et des ETI, c'est le faible turnover. C'est un avantage, car vous disposez d'employés qui connaissent bien l'entreprise. Mais de par leur taille, ces entreprises possèdent des possibilités de promotions limitées. Donc les gens effectuent le même boulot, années après années. Leur motivation s'émousse, donc leur productivité.

Solution trouvée : faute de promotion, on va organiser une rotation des bureaux ! Faites vos cartons, on part pour une nouvelle aile du bâtiment. On n'est pas en "mode dégradé". Donc à votre arrivée, il y aura tout ce qu'il faut pour travailler. Le problème, il est plutôt pour les réunions transversale dans une salle fixe. Cela veut dire que désormais, vous devez traverser tout le bâtiment pour y accéder !
Par contre, il faudra que vous retrouviez vos repères. Car la machine à café ou la cantine bougent également.
L'inconvénient pour les prestataires, c'est que les autres services bougent aussi. Après un certain nombre de missions, vous ne retenez même plus les noms (à quoi bon, dans n mois, vous serez ailleurs), juste les visages et l'emplacement géographique des uns et des autres. Donc, ça devient compliqué de garder le fil avec vos contacts hors du service. Où sont-ils partis ? Le cas typique, c'était la réunion informelle que vous aviez avec Untel, car son bureau (ou le votre) était sur le chemin de la sortie.

Mais il faut reconnaitre qu'aujourd'hui, avec le télétravail et la numérisation, ce n'est plus vraiment un souci. Ça l'était davantage au temps où chaque employé avait 2 ou 3 armoires d'archives (avec 1 qui n'arrivait pas à bon port...)

mercredi 10 août 2022

Les pires bureaux : 3) en mode dégradé

Qu'est-ce qu'il peut y avoir de pire que de travailler dans une ruine ? Travailler dans une ruine, avec des bruits de perceuse !

L'enfer est pavé de bonnes intentions. Le groupe X décide de déménager telle activité. Le site A était vétuste. Le site B va être entièrement réaménagé.
Seulement voilà, les travaux dans un immeuble de bureaux, cela peut prendre des mois, voire des années. Cela signifierait que pendant tout ce temps le groupe X devrait payer des loyers pour les bâtiments A et B. C'est trop cher !
D'où l'idée mirobolante : transférer l'activité de A, au fur et à mesure, sur le site B. L'idée est simple : dès qu'une zone du site B est achevée, on y envoie tel service de A. Le planning de déménagement est gravé dans le marbre. Parce que c'est bien connu : dans le bâtiment, il n'y a jamais de retards, hein ?

Donc, vous voilà débarquant sur le site B. En fait, les travaux ont pris tellement de retard que dans votre zone, la réhabilitation n'a même pas débuté ! Donc, vous vous retrouvez dans une ruine. Puis les ouvriers débarquent. Ah, la joie des concertos de perceuse à percussion le matin... Vous laissez des papiers sur votre bureau ? Un ouvrier va tester si son marqueur marche dessus. Ou bien, pendant votre absence, un sac de plâtre s'est crevé là. Car les ouvriers, ils n'ont rien à fiche de votre service. Ils déposent matériel et matériaux là où ils peuvent.  Sans parler des pauses clopes, de la radio ou des conversations...
Puis il y a les électriciens, avec des fils dénudés et des câbles par terre. C'est dangereux ? Oui, mais en tant que prestataire, à qui allez-vous vous plaindre ?
Et la plomberie... Ah, la plomberie, avec le travail sur la fosse sceptique. Afin d'avoir de bonnes odeurs... Puis le mail : "Salut, du 3 au 14, l'eau sera coupée et les toilettes, inopérationnels." Bien sûr, en fait du "14", ça sera plutôt le "18". Mais ne vous inquiétez pas, vous en recevrez beaucoup, des mails : plus de climatisation (lorsqu'une vague de chaleur est prévue), plus de chauffage (en pleine vague de froid), etc. Mais le chef de projet "regrette le dérangement" et la "gène occasionnée".
Le chef de projet en question, il vous écrit depuis le bâtiment A. A sa première visite, il vous rassure : la situation n'est pas tolérable et il ne l'a tolère pas. Il ouvre une page où vous pouvez déposer vos griefs. Mais pas question de toucher au planning : le mois suivant, un autre service débarque à son tour dans une zone où les travaux n'ont pas débuté. En fait, le chef de projet est un yesman. Les plaintes sont dirigées vers son assistante, une stagiaire de 18 ans, qui se prend coups de fil d'insultes, sur coups de fil d'insultes.

Et évidemment, en cas de black out, pas question de rentrer chez vous ! Au mieux, on vous force à poser des jours de télétravail (déduits de votre compte mensuel.) Au pire, on vous impose carrément de poser un jour. Notez aussi que le droit de retrait n'existe pas dans le secteur privé. Oui, vous devez travailler dans un bureau sans clim', par 30°, avec un ouvrier qui s'acharne sur un mur. Sinon, c'est abandon de poste. Et par contre, votre N+1 a comme par hasard un long séminaire dans le site A... 

Le plus rageant, c'est que lorsqu'enfin, la zone est à peu près terminée, votre mission de prestation s'achève.