lundi 18 juillet 2022

Travail, congés : rappels historiques

Une amie m'a transmis une vidéo d'un psychologue sur les vacances. Une vidéo sympathique... Mais complètement fausse sur ses repères historiques.

Petit rappel, donc.

Emploi
Non, M. Moukheiber, l'emploi, au sens moderne du terme, n'a rien de nouveau.

Au haut-moyen-âge, la chrétienté se développe. Les baptistères font place à des églises, puis des cathédrales, voire des basiliques. Pour bâtir un château, le seigneur impose une corvée à ses ouailles. L'église, elle, n'a généralement pas de moyens coercitifs sur les populations. Elle va donc embaucher des ouvriers. Dans les archives des bâtiments, on trouve des donnés sur le nombre d'ouvriers, leur salaire (en numéraire ou en nature), la durée de leur travail, etc. Ce n'était pas un contrat de travail, mais davantage un onglet du budget prévisionnel de la construction. On est bien face à un emploi salarié.
D'ailleurs, en vue de travaux futurs, les abbayes, monastères, etc. vont développer la fabrication de denrées (comme la fameuse bière trappiste) destinées à payer les ouvriers.

Tripalium
Pour les Romains, le travail physique est un torture. D'ailleurs, le mot "travail" viendrait d'un instrument de torture, le tripalium [citation needed]. A Rome, les travaux physiques sont l'apanage des pauvres et des esclaves. L'objectif d'un Romain sont de progresser socialement, afin d'avoir des esclaves pour effectuer les travaux. Ainsi, il aurait du temps pour se consacrer à des activités nobles (politique, philosophie, art, etc.)
Près de deux millénaires plus tard, Karl Marx débarque en pleine seconde révolution industrielle. Il constate que les ouvriers travaillent dans des environnements dangereux (mines, haut-fourneaux...) Si le patron leur fournit logement ou équipements, il est déduit de la paye, ne laissant quasiment rien aux ouvriers. Enfin, la paye est quotidienne : si un ouvrier se plaint, qu'il tombe malade ou se blesse, on lui dit de ne plus revenir là. Pour l'historien, c'est évident que l'ouvrier exploité est le descendant de l'esclave de la Rome antique.
Nouveau saut dans le temps : nous voilà dans les années 70. Un chômage toujours plus important s'installe en Europe occidentale. Pour les néo-marxistes, les fautifs sont les patrons. Ils imposent des horaires à rallonge à leurs employés, au lieu d'embaucher. En réduisant la limite légale du temps de travail, on forcera les employeur à recruter. Cela aboutira, en 1999, à la loi Aubry sur les 35h. Avec l'idée sous-jacente que les gens occupent un emploi salarié par nécessité. En passant aux 35h, ils pourront davantage s'épanouir dans leurs vraies passions, comme notre Romain enrichi.
Toujours dans les années 70, James Tobin réalise que la création de richesse provient non plus sur la production industrielle, mais la spéculation financière. Il réfléchit à une taxe sur ces flux. Puis, dans les années 2010, l'idée est fusionnée avec celle du revenu universel. On reste dans l'idée d'un salarié contraint. Avec l'idée qu'en lui offrant de quoi vivre, il n'aura plus besoin de travailler et là, il pourra se consacrer à 100% à ses passions.

Labor
Au bas-moyen-âge, les villes se développent et elles ont besoin de gestionnaires. La noblesse se désintéresse du travail politico-administratif, transformant le tripalium romain en devoir d'oisiveté. Le clergé, omniprésent dans les campagnes, manque de moyens pour quadriller les villes. Qui plus est, depuis les croisades, les rois se méfient des ordres et autres confréries. Cela ouvre un espace à la bourgeoisie : frappe de la monnaie, perception de l'impôt, arbitrages judiciaires, transport inter-cité, gestion des grands projets d'urbanisme ou de génie civil et plus tard, financement d'expédition extra-européenne et d'installation de colonies... La bourgeoisie sait se rendre indispensable dans la société médiévale, puis à la renaissance. Dès le XIIe siècle, en Angleterre, les parlements sont ouverts à des représentants des familles bourgeoises. Certains veulent être anobli, mais d'autres tiennent à rester en dehors de l'aristocratie et à obtenir des charges par le mérite et non par hérédité.
En Grande-Bretagne, le XVIe siècle est celui d'une lutte continue entre la monarchie et une bourgeoisie qui rêve de république. En 1707, le Royaume-Uni devint officiellement une monarchie parlementaire, avec une chambre de communes unifiée. Peu après, les libéraux Adam Smith (fils d'avocat) et David Ricardo (fils de négociant) se font le chantre du travail. Ce travail, qui a permit à leurs familles de s'élever socialement et financièrement. Ils emploient le terme latin "labor".
Le libéralisme se développe aux Etats-Unis, avec le mythe du self-made-man. Cet homme venu de nul part, qui par son abnégation, atteint les sommets. C'est le rêve Américain. On aime y montrer les garages où des entreprises Apple, Mattel ou Harley-Davidson sont nés. On consacre même des biopics, comme The Aviator ou Jobs.

Vacances
Là où
Albert Moukheiber a raison, c'est que les vacances n'ont rien de naturel.

Aux XIXe siècle, l'aristocratie Européenne n'a plus qu'un rôle très symbolique et elle s'ennuie. Alors elle voyage. La médecine, alors balbutiante, conseille aux corps fiévreux de prendre "le grand air". Le train apparait et il va toujours plus loin. A la mer ou à la montagne, au terminus des gares, on ouvre des stations thermales ou des sanatoriums. On se pique également d'intérêt pour l'archéologie ou les arts. La haute bourgeoisie, qui vise à supplanter l'aristocratie, prend également le train. Au tournant du XXe siècle, l'hôtelier César Ritz, le chef Charles Escoffier ou Georges Nagelmackers (avec son Orient Express) tracent les traits d'un tourisme destiné aux ultra-riches, que l'on retrouve dans les romans de Thomas Mann.
A la même époque, l'école devient obligatoire. Or, à la ferme, les enfants aidaient leurs parents pour les moissons. On décida donc de fermer l'école l'été, pour qu'à la campagne, les enfants puissent continuer à participer aux travaux agricoles.
Les congés payés n'ont rien d'une revendication ouvrière. Les ouvriers vivotent et ont peu de loisirs. Que feraient-ils d'une semaine de repos ? Il n'y a pas vraiment de code du travail national. Les grandes entreprises possèdent leur règlement interne. C'est le temps des patrons paternalistes, qui doivent prendre en main leurs salariés. On soupçonne les ouvriers d'avoir une hygiène corporelle et une hygiène de vie déplorable. Des équipes visitent les logements de fonction à l'improviste.
En 1853, Napoléon III donne deux semaines de congés aux fonctionnaires. Plus tard, Léon Blum travaille dans un journal qui paye des congés à ses salariés. C'est sans doute ce qui l'inspire, en 1935, lorsque le Front Populaire impose deux semaines de congés payés. Néanmoins, ce n'est qu'après la guerre que les Français commencent à partir en vacances. De lubie culturo-hygiéniste, les congés deviennent un droit immuable, avec trois, quatre puis cinq semaines annuelles.

Les libéraux se sont longtemps arrachés les cheveux. En août, la France tourne au ralenti. La production baisse de 20% en moyenne. J'ai connu une entreprise où les salariés devaient solder tous leurs congés avant juin. Entre les RTT et les "jours de médaille", les bureaux étaient quasiment vides en mai !
Mais le patronnait a trouvé l'angle mort de la baisse du temps de travail. Désormais, les salariés étalent leurs vacances sur toute l'année. Fini, les quatre semaines en août et la semaine en février, pour le ski. D'ailleurs, certaines entreprises interdisent de prendre plus de deux semaines d'affilée. On s'offre donc un week-end prolongé, avec des visites au pas de course, pour ne rien louper. Et bien sûr, on garde un œil sur ses mails.

Conclusion
Tripalium et labor sont devenus copains. On travaille moins, mais on doit rester joignable en permanence. Votre patron vous tutoies, il vous autorise à partir à 15h le jour où votre plombier doit passer... Mais il est en permanence sur votre dos. Vous avez le droit d'avoir un hobby et c'est même conseillé, car à partir de 40 ans, cela risque de devenir votre seul revenu. etc.

dimanche 17 juillet 2022

Ubérisation : demain, tous précaires ?

En ce moment, Emmanuel Macron est dans la tourmente. Jouet des lobbys pour les uns, assassin du droit du travail pour d'autres... Ou bien créateur d'emplois du XXIe siècle, pour ses défenseurs.

Petit rappel historique : l'auto-entrepreunariat a toujours existé !

Autrefois, l'hiver, lorsque les champs étaient gelés et qu'il n'y avait rien à faire, les paysans se muaient en artisan. Le plus célèbre exemple, c'est dans le Doubs, où ils fabriquèrent des montres dès le XVIIIe siècle.
Dans les PME en campagne, presque tout le monde a deux revenus. Les plus jeunes participent aux vendanges ou à la récolte des noix. D'autres tiennent une table d'hôte. Certains restaurent des maisons pour les revendre. Il y a aussi ceux qui font les brocantes, etc. Les patrons ferment les yeux sur ces activités extra-professionnelles, qui débordent souvent sur le temps de travail... Et parfois, ils ont eux-même leur propre affaire !

Le premier tournant eu lieu dans les années 70, avec l'implantation de Tupperware, en France. La société Américaine recherchait des personnes inactives -des mères au foyer- à qui il proposait un contrat d'indépendant. Dans la foulée, on vit quantité d'objets vendues entre particulières : parfumerie, parapharmacie, produits de beauté, lingerie... J'ai assisté à une séance de recrutement. Les vendeuses potentielles étaient toutes des femmes exclues du marché du travail : chômeuses de longue durée, sans-papiers, retraitées... Elles cherchaient désespérément un revenu.
Dans les années 80, on vit arriver le pendant masculin : le téléconseiller (investissement, immobilier, informatique professionnelle...) Les concédants cherchaient des cadres au chômage.
Dans tous les cas, il faut souvent vendre énormément de produits pour disposer d'un vrai revenu. Les entreprises aiment citer leurs meilleurs vendeurs, mais ils ne représentent qu'une part marginale de la force de vente. Les autres vivotent à peine. Surtout, le concédant se goinfre à tous les étages : droits d'entrée, kit de vendeur, formations payantes, commissions... Il gagne à tous les coups. Sans oublier un statut flou et un contrat juridiquement nul. On frôle généralement l'escroquerie, voire parfois le mouvement sectaire.

Le second tournant eu lieu dans les années 2000, avec l'essor d'internet. Avec le web, plus besoin de démarcher pour proposer vos services. Vous pouvez ouvrir un site de biens (avec les premières boutiques en ligne) ou de service (par exemple, du support informatique), tout en ayant une activité normale. Et pour un investissement faible. Certains ont même pu toucher des revenus de leurs travaux artistiques !
Vous n'avez pas de talent ? Pas grave, bientôt, des sites vous proposaient de louer votre logement, votre voiture, vos équipements, etc. Vous pouvez gagner de l'argent sans rien faire !

En 2009, le gouvernement mit de l'ordre dans ces revenus complémentaires, avec le statut d'auto-entrepreneur. Ou plutôt, il a surtout créé un statut fiscal, afin de collecter de l'impôt, sur des revenus qui lui échappaient.
L'auto-entreprise n'a pas apporté de protection aux gens ; de toute façon, ce n'était pas son but. A contrario, cela a plutôt eu tendance à créer de la précarité. L'auto-entrepreneur étant potentiellement un salarié externalisé.

Peu après, Uber et consorts débarquaient en France. Ils avaient un besoin massif de main d’œuvre. Non pas pour du temps partiel, mais pour des temps plein. Or, leur modèle économique exècre le salariat. Uberisation, piège à cons raconte comment ils ont ciblé les jeunes banlieusards. Une catégorie marginalisée sur le marché de l'emploi (car peu diplômée et parfois ayant eu des démêlés judiciaire), plutôt hostile au salariat et à la recherche d'argent facile.
Les entreprises de VTC et de livraisons ont su flatter cette population... Tout en profitant de leur inexpérience et de leur naïveté.

En 2014, Emmanuel Macron, alors ministre, fut un allié de ses entreprises. Personnellement, je pense qu'il était de bonne foi. 2 ans plus tôt, il était un "young leader" de la French American Foundation. Il reste marqué par les start-up et "l'empowerement" des minorités. Uber cochait donc toutes les cases. Mais Emmanuel Macron, c'est également un énarque. Uber fut une occasion de toiletter la fiscalité. Non pas celle du concédant, car en bon libéral, il souhaitait laisser de la latitude aux entreprises. Par contre, il ne se gênait pas pour taxer les auto-entrepreneur. Par exemple, si un auto-entrepreneur est au chômage, tout chiffre d'affaires devait désormais être déclaré et déduit des allocations.

L'ubérisation, c'est une précarisation. Comme les vendeuses à domicile ou les téléconseillers sus-cités, les chauffeurs d'Uber ou les livreurs d'Amazon gagnent des misères. Surtout, le chauffeurs ou le livreur est un indépendant, qui peut donc être radié du jour au lendemain. C'est même un argument de vente auprès de la clientèle. Lorsque sur les réseaux sociaux, on voit une vidéo d'un chauffeur ou d'un livreur pétant les plombs, l'entreprise se vante d'avoir radié le fautif. Il n'a même pas pu donner sa version des faits.
Dans le secteur des services, il y a déjà un recours à une sous-traitance en cascade. Il m'est arrivé d'être prestataire (en portage), pour une entreprise de prestation, qui offrait des bras à un sous-traitant, lequel réalisait un projet pour un client final ! Le jour où le client final en a eu assez de moi, j'ai du partir sur-le-champ, à 15h, un lundi après-midi. Un exemple qui pourrait se banaliser, alors que les vieux cadres sont poussés vers la prestation.
Dans ce contexte, on comprend que le terme "ubérisation" fasse peur. Même certaines entreprises y sont hostiles : un fort turnover, ça n'a pas que des avantages. Pourtant le président de la République se veut rassurant...

jeudi 14 juillet 2022

Où sont les vieux ?

Lorsque j'ai débuté, il y avait une proportion certaine de gens entre 55 et 65 ans. Des baby-boomers. Vous aviez l'espèce de Gandalf, dont le bureau débordait de dossiers poussiéreux et qui connaissait tout sur tout. "Comment faire ceci ? On l'avait fait en 1974, avec Machin, voilà la procédure..." Le bourreau du travail, qui avait fait ses trimestres, mais qui restait là, le temps de finaliser un dossier important. Et puis le placardisé, un non-cadre trop vieux pour être formé ou reclassé ; on le mettait à un job très symbolique et il passait l'essentiel du temps à errer dans le site et à papoter avec les anciens.

Surtout, vous aviez plein de binômes avec un futur retraité et son jeune successeur. Le premier montrant toutes les ficelles au second. Une bonne manière de faire du knowledge management.

Mais les grandes entreprises ne veulent plus des quinquas. Ils sont chers, sont souvent assez obtus et ils sont largués avec les outils numériques. Surtout, les entreprises ne veulent plus voir de "vieux hommes blancs". Bref, que des ennuis !

Dans la dernière grande entreprise où j'ai travaillé, j'étais l'un des plus vieux. Le gros des troupes avait 25, 30 ans et les doyens, 45 ans. C'est bien simple : en 8 ans dans une certaine industrie, je n'ai assisté qu'à un seul pot de départ en retraite ! Sur le papier, les entreprises disposent ainsi de jeunes gens motivés, formés aux dernières innovations et avec davantage de parité.
Sauf que les plus jeunes sont aussi plus prompt à péter les plombs à la moindre difficulté. Et que par définition, ils font souvent des erreurs de débutant. Dans cette entreprise, c'était pénible. D'une part, j'étais face à des enfants gâtés... Et cela n'arrêtait pas de défiler ! Car à la moindre frustration, hop, démission ! Donc, aucun knowledge management : c'est comme si l'entreprise brulait ses archives, tous les 6 mois.

Or, dans le même temps, on a eu de cesse de repousser l'âge de la retraite. Avant, à 55 ans, il était déjà possible de négocier une pré-retraite. Notamment, lors des plans sociaux. Aujourd'hui, plus question de partir avant 65 ans !
Vers 45 ans, les employés, y compris les managers, sont mis sur la touche. Les plus chanceux reviennent comme consultant, après avoir monté leur autoentreprise. Les autres échouent dans des PME. Ils se retrouvent à des posts subalternes et c'est assez triste de les entendre parler de leur gloire passé. Dans les PME, vous voyez donc davantage de départs en retraite. Mais le passage de relais s'effectue avec quelqu'un d'à peine plus jeune...

mardi 5 avril 2022

RIP, le droit à la déconnexion

"Je suis en congé jusqu'au tant, avec un accès limité à mes mails." C'est un message d'absence très commun.

On n'en finit pas de découvrir des aspects pervers au télétravail !

Au plus fort du confinement, le télétravail a permis à nombre d'entreprises de maintenir leur activité.  Désormais, l'entreprise s'est habitué à jongler avec les cas-contacts, voire les employés positifs au Covid. Au moindre doute, l'employé est renvoyé chez lui. Il doit poursuivre son travail à distance.
Certaines entreprises font désormais preuve d'hygiénisme : rhume, fièvre, toux... On préfère écarter un employé potentiellement malade, avant qu'il ne contamine les autres.
Et puis, il y a les pépins physiques. Une jambe dans le plâtre ne vous empêche pas de pianoter sur un clavier d'ordinateur !
Il y a bien sûr des chefs tyranniques. L'un d'eux m'a dit, à 21h : "Je sais que ta box wifi est en panne, mais tu pourrais aller au McDo pour prendre leur wifi, car le client attend absolument une réponse pour ce soir..." Mais il y a aussi des employés qui se sont habitués au travail en "distanciel". Ils ont des scrupules à laisser de côté les dossiers, même lorsqu'ils sont en arrêt-maladie. Et même en vacances. Après tout, maintenant, avec un simple smartphone on peut consulter ses mails pro et participer à des réunions sous Teams.

Le droit à la déconnexion faisait parti des lois travail de 2017. Bien avant le confinement. Mais il ne résiste pas à l'épreuve des faits.
Cela vaut surtout pour les juniors, arrivé en entreprise durant le Covid ou juste avant et qui manquent de recul. Mais cette intrusion permanente du professionnel dans la sphère privée ne peut qu'avoir des conséquences néfastes. Ne serait-ce qu'en terme de stress et de repos.

mercredi 23 février 2022

Dépression jusqu'à lundi, maximum

Burn-out, dépression, charge mentale, envies suicidaires... La souffrance mentale est de plus en plus évoquée dans l'entreprise. Durant les phases de confinement, des salariés ont souffert. Et contrairement à ce qu'on a cru, tout n'est pas revenu à la normal avec le retour au "présentiel à 100%".

On reste souvent dans les stéréotypes, à lier stress et (sur)charge de travail ou dépression à solitude. On peut être marié et se sentir seul. On peut avoir un job cool et être pourtant stressé. On s'imagine aussi qu'après un bon repos ou un peu de shopping (le Blue Monday), la maladie se sera évaporée...

La réaction de vos collègues et de la hiérarchie, elle, varie suivant votre environnement.

Dans les TPE, PME et ETI, le turnover des employés est souvent plus faible. Le manager, voire le gérant de l'entrepris vous connait depuis ds années. En cas de souci, il sera donc généralement plus compatissant. Paradoxalement, bien que les ressources y sont limitées, une PME sera davantage capable de soulager la charge de travail d'un employé ou de faire face à une absence prolongée due au traitement.
Bien sûr, il y a des exceptions. J'ai travaillé dans une entreprise où un salarié en arrêt maladie s'est suicidé. La direction s'est contenté d'une affichette.

Dans les grands groupes, en théorie, les managers sont sensibilisé. Mais ce sont des formations de 5 minutes sous Teams, suivie d'une oreille. En plus, salarié -voire manager- déprimé ou pas, la hiérarchie voudra les mêmes délivrables. Et puis, il y a davantage de rotation. Le manager est à ce poste depuis quelques mois, il ne connait son équipe qu'à travers les confidences à la machine à café...
Au début, le salarié souffrant se verra aménager ses horaires et ses responsabilités. Mais très vite, on risque de lui dire : "Ça va mieux ? Tu peux reprendre à 100% à partir de lundi ?" Ou la variante, plus subtil : "On va continuer à lever le pied. Par contre, le cascading de mardi, tu dois impérativement y être. Et pour tel dossier, je ne peux pas m'en occuper, donc, tu le récupères. Quant au kpi..."
En prime, les campagnes de sensibilisation sont volontiers pollués par les idées woke. On acceptera donc moins facilement qu'un homme blanc se plaigne.
Qui dit grand groupe, dit carrière, notation, progression, etc. Lever la main pour dire "ça ne va pas", c'est risquer de sacrifier son développement. Un junior se demandera même si l fait de se plaindre n'est pas une marque de faiblesse ; qu'il n'est pas capable de travailler dans cet environnement, alors qu'il vient juste de commencer...
Bref, loin des discours, on préfère glisser la poussière sous le tapis. J'ai travaillé dans un groupe où un salarié s'était pendu dans les toilettes. Réaction du groupe : supprimer les paternes dans les toilettes... Sauf sur les plateaux presta !

Pour le prestataire, c'est pire. Il se retrouve bien seul. A qui va-t-il confier ses états d'âmes ? A un commercial qu'il voit tous les 6 mois ? Un cabinet de prestation est censé fournir du personnel au top, pour effectuer des missions. Un consultant en souffrance a failli à sa mission. Et c'est un problème pour son manager. Sur le pointage mensuel des heures, un cabinet avait rajouté un "météo du mental" avec au choix 🌞,⛅ou⛈... Et au bout de quelques mois, on m'a engueulé parce que je cochais trop souvent "⛅".
Un consultant en dépression sera prié de se cacher, sinon il peut se considérer comme déjà licencié. Au mieux, il peut négocier avec le client.

Et si vous êtes chômeur ? Là, c'est le pire des cas. Le chômeur déprimé est littéralement seul. A qui va-t-il parler ? Au QCM que vous envoie Pôle Emploi ? A la boite vocale ? Personne n'est là pour vous. D'ailleurs, personne ne va remarquer votre état.

dimanche 13 février 2022

Deuxième dernier jour

La particularité du prestataire, c'est que vous avez deux derniers jours. Le second suivant souvent le premier...

En théorie, lorsque votre mission s'arrête, vous passez en intercontrat.
Lors de l'entretien, le cabinet s'était vanté d'avoir quantité de clients. La première mission, c'est juste une mise en jambe. Après, vous aurez des responsabilités ! Au pire, on vous garde au chaud. Un intercontrat peut rester chez lui, en attendant que l'on vous trouve une mission. Mais avec des convocations aléatoires, afin de vérifier que vous ne faites pas le mur (exactement comme à Pole Emploi.) Parfois, le consultation part en formation (une manière plus subtile de vous avoir à l’œil.) Enfin, parfois les intercontrats effectuent des missions de prospections de la clientèle.

Du moins, ça, c'était avant, dans les vrais cabinets d'ingénierie. Ils estimaient qu'en moyenne, 10% de la masse de leurs consultants étaient en intercontrat. Ils avaient des locaux dédiés, des protocoles, des responsables, etc. Or, cela coutait très cher. Et ce cout était répercuté dans la facturation des prestations.
Les cabinets bidons, eux, suppriment les intercontrats.

Que se passe-t-il si votre mission s'arrête ?

1) Lorsqu'elle s'arrête parce que votre N+1 ne veut plus de vous. Si votre N+1 fait appel à des prestataires, c'est souvent que la situation de son service est chaotique (réorganisation, PSE...), voire que le N+1 est complètement toxique et personne ne veut travailler pour lui ! Donc, souvent, vous n'êtes qu'une énième personne qui défile.
En théorie, votre responsable, au sein du cabinet, est là pour vous appuyer. Quelques jours après la fin de la mission, c'est le débriefing. Très vite, vous comprenez que vos arguments sont irrecevables. Votre responsable vous écoute à peine. Il finit par brandir le commentaire de votre ex-N+1. Ça y est, vous êtes cuit. Ce qui suit, c'est un classique entretien disciplinaire : on vous propose un rupture conventionnelle, point final.
2) Lorsque tout se termine pour des raisons indépendantes de vous. Entre temps, le consultant qui vous suivait est parti. On vous demande de "mettre à jour votre dossier". Là, le cabinet a du mal à vous recaser. Soit il vous propose des missions à 200km de chez vous. Soit il tente de vous placer sur des missions loin de votre périmètre de compétence. Un intercontrat, ça coute cher, surtout si c'est un senior ! Votre mission s'est terminée il y a une semaine, mais vous êtes déjà un "problème" au sein de la société. Le patron du cabinet va vous rappeler pour vous "conseiller" d'accepter la mission à 200km. Si par miracle, on vous trouve une mission pas trop loin et dans votre périmètre, plus de souci. Sinon, la pression ira crescendo. On vous poussera à venir pointer, chaque jour, jusqu'à ce que vous démissionnez. A moins qu'on vous propose une rupture conventionnelle.

mercredi 12 janvier 2022

La politique de la chaise vide... Lors d'un pot de départ

Quand vous êtes prestataire, les pots de départ ont un goût particulier. Après tout, vous n'êtes là que depuis quelques mois, donc vous connaissez à peine les gens. Surtout, lorsque ça sera votre tour de partir, vous n'aurez ni fête, ni cadeau d'adieu...

Là, c'était un "historique" de la boite. Quinze jours avant, il avait invité une centaine de futurs-ex-collègues. Il prévoyait de faire un gros truc, d'ailleurs, il avait privatisé un bar.

Le jour J, on était une petite quarantaine, dont un unique manager. "Je comprends. Mon départ a du causer un séisme ! Il ne fallait pas être vu avec moi !" Mais vingt minutes plus tard, c'était : "Je dois aller chercher les enfants", "demain, je commence tôt", "j'ai eu une longue journée", etc. On n'était à peine plus qu'une vingtaine, alors que les serveurs déposaient des tapas. J'avais de la peine pour cet homme, alors que je n'étais là que depuis un mois. Je suis parti peu après, laissant le démissionnaire avec son quarteron d'amis fidèles, dans ce bar vide.

Et depuis, je n'ai entendu aucune mention de cet homme. En bien ou en mal.

La triste réalité de l'entreprise, c'est que dès que vous êtes parti, on vous oublie. Que vous soyez resté une semaine ou une décennie.