dimanche 17 juillet 2022

Ubérisation : demain, tous précaires ?

En ce moment, Emmanuel Macron est dans la tourmente. Jouet des lobbys pour les uns, assassin du droit du travail pour d'autres... Ou bien créateur d'emplois du XXIe siècle, pour ses défenseurs.

Petit rappel historique : l'auto-entrepreunariat a toujours existé !

Autrefois, l'hiver, lorsque les champs étaient gelés et qu'il n'y avait rien à faire, les paysans se muaient en artisan. Le plus célèbre exemple, c'est dans le Doubs, où ils fabriquèrent des montres dès le XVIIIe siècle.
Dans les PME en campagne, presque tout le monde a deux revenus. Les plus jeunes participent aux vendanges ou à la récolte des noix. D'autres tiennent une table d'hôte. Certains restaurent des maisons pour les revendre. Il y a aussi ceux qui font les brocantes, etc. Les patrons ferment les yeux sur ces activités extra-professionnelles, qui débordent souvent sur le temps de travail... Et parfois, ils ont eux-même leur propre affaire !

Le premier tournant eu lieu dans les années 70, avec l'implantation de Tupperware, en France. La société Américaine recherchait des personnes inactives -des mères au foyer- à qui il proposait un contrat d'indépendant. Dans la foulée, on vit quantité d'objets vendues entre particulières : parfumerie, parapharmacie, produits de beauté, lingerie... J'ai assisté à une séance de recrutement. Les vendeuses potentielles étaient toutes des femmes exclues du marché du travail : chômeuses de longue durée, sans-papiers, retraitées... Elles cherchaient désespérément un revenu.
Dans les années 80, on vit arriver le pendant masculin : le téléconseiller (investissement, immobilier, informatique professionnelle...) Les concédants cherchaient des cadres au chômage.
Dans tous les cas, il faut souvent vendre énormément de produits pour disposer d'un vrai revenu. Les entreprises aiment citer leurs meilleurs vendeurs, mais ils ne représentent qu'une part marginale de la force de vente. Les autres vivotent à peine. Surtout, le concédant se goinfre à tous les étages : droits d'entrée, kit de vendeur, formations payantes, commissions... Il gagne à tous les coups. Sans oublier un statut flou et un contrat juridiquement nul. On frôle généralement l'escroquerie, voire parfois le mouvement sectaire.

Le second tournant eu lieu dans les années 2000, avec l'essor d'internet. Avec le web, plus besoin de démarcher pour proposer vos services. Vous pouvez ouvrir un site de biens (avec les premières boutiques en ligne) ou de service (par exemple, du support informatique), tout en ayant une activité normale. Et pour un investissement faible. Certains ont même pu toucher des revenus de leurs travaux artistiques !
Vous n'avez pas de talent ? Pas grave, bientôt, des sites vous proposaient de louer votre logement, votre voiture, vos équipements, etc. Vous pouvez gagner de l'argent sans rien faire !

En 2009, le gouvernement mit de l'ordre dans ces revenus complémentaires, avec le statut d'auto-entrepreneur. Ou plutôt, il a surtout créé un statut fiscal, afin de collecter de l'impôt, sur des revenus qui lui échappaient.
L'auto-entreprise n'a pas apporté de protection aux gens ; de toute façon, ce n'était pas son but. A contrario, cela a plutôt eu tendance à créer de la précarité. L'auto-entrepreneur étant potentiellement un salarié externalisé.

Peu après, Uber et consorts débarquaient en France. Ils avaient un besoin massif de main d’œuvre. Non pas pour du temps partiel, mais pour des temps plein. Or, leur modèle économique exècre le salariat. Uberisation, piège à cons raconte comment ils ont ciblé les jeunes banlieusards. Une catégorie marginalisée sur le marché de l'emploi (car peu diplômée et parfois ayant eu des démêlés judiciaire), plutôt hostile au salariat et à la recherche d'argent facile.
Les entreprises de VTC et de livraisons ont su flatter cette population... Tout en profitant de leur inexpérience et de leur naïveté.

En 2014, Emmanuel Macron, alors ministre, fut un allié de ses entreprises. Personnellement, je pense qu'il était de bonne foi. 2 ans plus tôt, il était un "young leader" de la French American Foundation. Il reste marqué par les start-up et "l'empowerement" des minorités. Uber cochait donc toutes les cases. Mais Emmanuel Macron, c'est également un énarque. Uber fut une occasion de toiletter la fiscalité. Non pas celle du concédant, car en bon libéral, il souhaitait laisser de la latitude aux entreprises. Par contre, il ne se gênait pas pour taxer les auto-entrepreneur. Par exemple, si un auto-entrepreneur est au chômage, tout chiffre d'affaires devait désormais être déclaré et déduit des allocations.

L'ubérisation, c'est une précarisation. Comme les vendeuses à domicile ou les téléconseillers sus-cités, les chauffeurs d'Uber ou les livreurs d'Amazon gagnent des misères. Surtout, le chauffeurs ou le livreur est un indépendant, qui peut donc être radié du jour au lendemain. C'est même un argument de vente auprès de la clientèle. Lorsque sur les réseaux sociaux, on voit une vidéo d'un chauffeur ou d'un livreur pétant les plombs, l'entreprise se vante d'avoir radié le fautif. Il n'a même pas pu donner sa version des faits.
Dans le secteur des services, il y a déjà un recours à une sous-traitance en cascade. Il m'est arrivé d'être prestataire (en portage), pour une entreprise de prestation, qui offrait des bras à un sous-traitant, lequel réalisait un projet pour un client final ! Le jour où le client final en a eu assez de moi, j'ai du partir sur-le-champ, à 15h, un lundi après-midi. Un exemple qui pourrait se banaliser, alors que les vieux cadres sont poussés vers la prestation.
Dans ce contexte, on comprend que le terme "ubérisation" fasse peur. Même certaines entreprises y sont hostiles : un fort turnover, ça n'a pas que des avantages. Pourtant le président de la République se veut rassurant...

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