lundi 23 novembre 2020

Cabinet d'ingénierie


Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre... En fait, les cabinets de consultants actuels sont un dévoiement des cabinets d'ingénierie des années 2000.

A l'époque, lorsqu'une grande entreprise avait un besoin à court-terme en ingénierie (surtout sur les projets très en amont), elle faisait appel à la sous-traitance. Les cabinets montaient alors des plateaux projets, très autonomes, avec leurs propres chef de projet. Seul ce dernier était en contact direct avec le client.
Au mieux, le client possédait suffisamment d'espace pour vous intégrer dans ses locaux. Plus fréquemment, le client mettait à disposition du cabinet un Algeco, voire un local désaffecté. Et souvent, le plateau-projet était situé chez le cabinet de consultant, avec des bureaux dédiés. Cela signifiait qu'en tant qu'ingénieur de base, vous travailliez pour un client que vous ne voyiez jamais. Vous n'en connaissiez que son mail ou sa voix au téléphone.

Il y avait pas mal de turnover. Si le client avait sous-traité le projet, c'est souvent que le budget était insuffisant ou les délais, intenables. Dans une boite, j'ai ainsi vu trois supérieurs effectuer un burn-out ! Les plus jeunes se disent : "pourquoi se tuer à la tache pour l'homme invisible ?" Les cabinets d'ingénierie ne sont pas complètements idiots : certains bons éléments sont réaffectés à des projets plus gratifiants. Enfin, au gré de la vie du projet, si le budget le permet, ils peuvent rajouter des "petites mains".
Afin de garder une certaine cohésion dans l'équipe, les chefs avaient pour consigne d'animer leurs équipes : pot de départ, after-work, team-building... Tout était bon.

L'inconvénient, c'est que le retex était nul. Une fois le projet terminé, les contrats des consultants (y compris celui du chef de projet) s'arrêtaient. Souvent, même les N+1 partaient voir ailleurs. En plus, à force de travailler pour les mêmes clients, certaines entreprises comme Altran, Alten ou Akka se retrouvaient en position de force.
D'où l'évolution radicale du métier. Désormais, les plateaux projets sont in situ, avec un responsable en interne. De plus, l'équipe est un panaché de différents cabinets. On va ainsi vers toujours plus de précarisation des consultants, de compétition entre cabinets, d'apparition de cabinets toujours plus agressifs...

jeudi 19 novembre 2020

Télétravail, téléenfer ?


En 2014, j'évoquais discrètement le télétravail. A l'époque, c'était un doux rêve. On l'assimilait aux cadres dirigeants forcés de travailler le week-end. Et aux indépendants trop fauchés pour avoir leur propre bureau.

Le télétravail avait beaucoup d'avantages. Terminé, le chef de service qui regarde par-dessus votre épaule et vous grondes si vous êtes sur Lastminute.com ! Terminé, l'obligation de poser une demi-journée pour faire des démarches administratives ou pour amener le petit chez le docteur ! Les études montrent qu'un employé en télétravail travaille davantage, car il a moins de sollicitations. Un employé en télétravail est moins souvent malade, car il n'y a pas de promiscuité. Enfin, un employé en télétravail pollue moins, vu qu'il n'a pas à se déplacer jusqu'à son bureau.

En 2014, c'était un doux rêve. Depuis, il y a eu le Covid. On s'est habitué aux réunions sous Teams, aux "il est où, Untel ? - Il est en télétravail aujourd'hui.", etc. 

Mais bien sûr, il y a un côté pervers. Les pays Anglo-saxons ont fait figure de pionniers en la matière. Désormais, Boris Johnson souhaite promouvoir le retour au travail.
A terme, l'entreprise perd le lien avec ses employés. Plus besoin de grandes surfaces de travail ; lorsqu'ils viennent, les employés se retrouvent en bureau volant (hot desking.) Les employés en télétravail se voient proposés moins de formation. Et bien sûr, le recours à la prestation est accru. Et tant qu'à faire, pourquoi ne pas sous-traiter à l'étranger ? Le coup est encore plus rude pour les managers. Après tout, pourquoi devraient-ils n'avoir qu'une quinzaine de subordonnés, suivant les schémas classiques ? On prend l'exemple du chef d'orchestre.
L'avenir, c'est donc de travailler en prestation, pour un client chez lequel vous n'avez jamais mis les pieds. Votre N+1 aura une cinquantaine de subordonnés et il ne vous parle que durant une brève weekly. D'ailleurs, il gagne à peine plus que vous et peut-être qu'il sera lui-même en prestation.

Charmant.

mercredi 18 novembre 2020

Entretien par hologramme

Lorsque j'ai commencé ce blog, les entretiens à Pole Emploi, suite à une inscription, étaient individuels. Ce qui donnait lieu à des anecdotes savoureuses. L'entretien collectif, c'était un peu la révision des 6 mois...

Heureuse époque ! Désormais, on a l'entretien collectif par hologramme. Ou presque. Peu après votre inscription, on vous convoque donc à une réunion avec une quinzaine de personnes récemment inscrite. Généralement, c'est à 9h, parce qu'un chômeur ne doit pas faire de grasse matinée ! Dans le lot, il y a la femme qui note tout, l'homme qui n'ouvre même pas son blouson, ceux qui pianotent discrètement sur leur smartphone, celui qui pianote sur son smartphone sans se cacher, l'homme ivre-mort qui gobe les mouche, le petit groupe qui arrive avec 5 minutes de retard (et se fait escorter par une conseillère jusqu'à la salle) et celui qui arrivent avec 15 minutes de retard, sans complexe.

Pendant ce temps, le conseiller fait sa présentation, impassible. J'ai été convoquée à 3 réunions avec le même conseiller. Il a fait le même speech, avec les mêmes blaguounettes, les mêmes apartés, etc. Pôle Emploi nous explique qu'en gros, en tant que cadres, on sait se débrouiller tout seul. Donc on nous embêtera plus. Pour les questions, il faut voir avec l'assistance téléphonique ou par internet.
Parfois, j'ai l'impression que cela fait longtemps qu'il ne croit plus à ce qu'il dit. D'autre fois, j'ai l'impression qu'il est dans sa bulle, qu'il a l'impression d'avoir remotivé 15 personnes. A la fin, invariablement, un doigt se lève : quelqu'un à 3 mois de la retraite et qui compte rester chez lui d'ici là. Il a donc un cas de conscience à cocher "je suis toujours à la recherche d'un emploi". Ne vous inquiétez pas, Pôle Emploi fermera les yeux. Une autre question ? Là, invariablement, il répondra : "Voyez avec le centre d'appel..."

Fin de la classe. Les gens rentrent chez eux silencieusement. Et une fois sur deux, Pôle Emploi va vous menacer, parce que votre présence à la réunion n'a pas été prise en compte et que vous êtes un sale délinquant...

vendredi 13 novembre 2020

Dernier jour


J'ai fait allusion au premier jour en entreprise. Je n'avais pas parlé du dernier jour. J'en ai connu pas mal, des derniers jours en entreprise... Souvent, cela tombait en milieu de semaine. 

Pour tous vos collègues, c'est un jour comme un autre. Mais vous, c'est la dernière fois que vous venez ici.
Normalement, vous avez déjà confié vos dossiers à d'autres. Vous avez peu de mails ; peu de coups de téléphone. Vous êtes condamné à errer à la machine à café. Peut-être que vous devez assister à une réunion. Cela vous semble alors très abstrait, ces affaires en cours, ces actions à gérer. Peut-être qu'un gradé vous dira : "Vous pouvez traiter ceci ? - Euh... Non, je vais partir... - Quand ? - Ce soir. - Ah, au revoir." Avec le Covid, en plus, la moitié du service est absente. Notamment les collègues qui vous avaient promis un resto pour votre départ. Justement, les collègues sont bizarres. Souvent, ceux avec qui vous aviez sympathisé sont distants. Ils ont déjà tourné la page. D'autres se montrent étonnement proches. On vous a viré à cause de X et X, ils le connaissent bien : il en a déjà fait licencier plus d'un... Vous avez les angoissés du "tu as d'autres pistes ?" Ça y est, on vous réduit déjà à un chercheur d'emploi. Il faudra vous y habituer...
L'heure H approche. Finalement, la journée est passée plutôt vite. Ben quoi, vous n'avez pas le droit à un pot de départ ? Non, rien. Les pots de départ, les cadeaux, c'est pour les autres. Vous laissez un mot d'adieu, puis c'est le moment de laisser votre badge et votre ordinateur. Votre futur ex-chef vous invite pour un ultime mot. Vous auriez envie de lui dire que c'est une peau de vache, qu'il vous a bien eu, qu'en fait, personne ne l'aime. Mais rien ne sort de votre bouche ; vous être trop poli.
Et vous voilà dehors, comme d'habitude. Sauf que cette fois-ci, vous ne reviendrez pas demain. Vous n'êtes plus employé, vous êtes chômeur. Pour votre entreprise, c'est comme si vous n'aviez jamais été là. Un autre prendra votre bureau, votre téléphone et votre ordinateur. C'est fini.

jeudi 12 novembre 2020

Pas très protocolaire


La vie en entreprise, en ces temps de Covid, ça n'est pas terrible. Et j'y reviendrais. Mais il y a pire : vous pourriez être précaire !

Le Covid, c'est le genre d'instant où l'on a un besoin irrésistible de sécurité, que l'équipe soit plus soudée que jamais... Sauf qu'au contraire, les précaires sont livrés à eux-mêmes et leur mince filet de sécurité disparait.
Les entreprises profitent des confinements pour dégraisser discrètement. Il suffit de ne pas renouveler les contrats des prestataires et des intérimaires. C'est l'occasion de faire jouer le cas de "force majeure". Aux prestataires conservés, la mission est "temporairement suspendus". Dans les boites de prestation, on prolonge d'autant les périodes d'essai. Allez chercher de la motivation après 10 mois d'essai... Pour les personnes en portage, le chômage partiel n'existe pas : vous êtes au chômage tout court !

Une fois de retour, les clients peuvent considérer que les masques font parti du "délit de marchandage". Charge à vous de vous débrouiller pour en trouver... Et bien sûr, interdiction de venir sur le site démasqué. En mai, certaines entreprises ont mis des semaines à fournir des masques à leur consultants. J'ai ainsi vu des prestataires laver et relaver leurs masques chirurgicaux, au mépris de leur utilisation.
Le télétravail ? Ce coup-ci, l'état l'a juste "conseillé" aux entreprises. Charge aux représentants du personnel de pousser leurs poins... Et les prestataires ? En théorie, leurs boites sont là pour les défendre. En pratique, le marché est morose. Les entreprises sont bien contentes d'avoir encore des clients. Quant à se mettre en porte-à-faux pour défendre un prestataire... J'ai connu un chef de service qui considérait que le télétravail, c'était la fête du slip... Car lui-même aimait prendre la clef des champs durant ses jours de télétravail... Donc, il voulait que les prestataires restent 5 jours sur 5 au bureau. Tant pis pour la distanciation. Seuls les plus méritants ont droit à UN jour de télétravail.

En règle générale, tout le monde oublie que s'il y a des règles et des protocoles sanitaires, c'est parce qu'il y a un risque sanitaire. Et que donc, on met inutilement les prestataires présents en danger.

lundi 17 août 2015

Jalousie "sociale"

Le chômeur est, par définition, quelqu'un de jaloux. Il passe ses journées à gamberger. En général, il sort peu et en journée. Il lui arrive néanmoins de croiser des gens en costard-cravate. Il s'imagine qu'ils ont un emploi, un salaire, des responsabilités, un statu social. Que lorsqu'ils rentrent chez eux, ils ont des projets d'acheter une maison ou de partir en vacances. Alors que lui, lorsqu'il rentre, c'est avec de vagues espoirs d'entretiens et les factures qui s'accumulent...


Grâce aux nouvelles technologies, la jalousie monte d'un cran. Le chômeur tue désormais son ennui sur Facebook ou Twitter. Lui, il n'a pas grand chose à raconter. Par contre, il peut consulter la vie rêvée de ses contacts. Des soirées incroyables en présence de "pipoles", des dîners somptueux et l'été, des vacances au bout du monde... En juillet et en août, il n'y a quasiment pas d'offres d'emploi. Et bien sûr, pas d'entretien. Donc les journées sont encore plus longues. Et le chômeur de les passer en regardant les vacances de ses "amis". Sur les réseaux sociaux, on ne montre que ses meilleurs moments. Et chaque journée à la plage, chaque photo d'hôtel cinq étoiles, chaque vidéo de balade en jet-ski lui renvoie un peu plus à sa condition de chômeur. Les autres s'amusent et lui, il est seul. Et fauché. Et comme il n'a rien d'autres à faire, il y retourne. Quitte à se sentir de plus en plus minable.

mardi 28 avril 2015

Money, money, money, must be funny... In a rich man's world

Le salaire, c'est le nerf de la guerre. Trop de patrons et de DRH sous-estiment son importance. Au quotidien, on sait bien que le moins cher est rarement le mieux. Un prix trop bas est même suspect. Mais les employeurs ont tendance à préférer le moins-disant.


De nombreux patrons de PME voient les employés comme des coûts et non comme des investissements. On entend rarement dire : "On veut un expert, quitte à mettre le prix." Mais plutôt : "Je suis sûr qu'on peut en trouver un meilleur qui demandera moins."
Lorsque le patron est le fondateur, la situation devient explosive. "J'ai sué sang et haut pour monter sa boite. Lui, il a juste déposé un CV. De quel droit ose-t-il demander une augmentation ?" Ca peut aller jusqu'au : "Qui est-il pour critiquer ma façon de payer les gens ? Il a monté la boite ? Je vais le virer sur-le-champ !"


Globalement, le "si t'es pas content, t'as qu'à aller voir ailleurs si c'est mieux" est la tendance. Consciemment ou inconsciemment, les entreprises privilégient les juniors. Mais à l'instar du gout pour les yesmen, cette politique est un poison sur la durée.
Car en face, les employés sont conscients du marché. Au "la porte est ouverte" répond le "au prix où je suis payé, je ne vais pas me décarcasser." Les plus hardis (donc les forces vives de l'entreprise) n'hésiteront pas à tenter l'aventure de la recherche d'emploi. Quitte à planter leur employeur du jour au lendemain. Les seuls qui restent, ce sont les ectoplasmes qui veulent pantoufler. A moyen terme, c'est donc une stratégie nuisible.