lundi 24 juin 2024

Souffrez en silence, bon sang !

En mars, Personnal Psycholgy a publié cette étude, qui a ensuite été reprise par nombre de revues. En gros : arrêtez de dire que vous souffrez ; à la longue vos collègues vont vous haïr.

L'étude évoque celui qui "se vante de son stress". L'explication, c'est que tout le monde est dans le même bateau. Sous-effectif, objectifs intenable, journées à rallonge, climatisation en panne... Ce qui vous touche vous, touche aussi vos collègues. Eux, ils savent rester discrets sur leurs souffrance. Et ils n'ont pas besoin qu'on leur rappelle qu'ils sont dans un environnement toxique ! Donc, une levé de bouclier. Celui qui se plaint est cornerisé, voire harcelé.

Plus réalistement, vos collègues vont vous accuser d'être hypocondriaque. On a tous croisé ces gens qui prétendent être surmené/dépressif/en burn-out, etc. La maladie est une excuse bien commode pour ne rien faire. Car à la moindre remarque, notre malade imaginaire explose : "Comment ose-t-il me demander ça, alors que cette nuit, j'ai à peine dormi 4 heures ?" Personne n'est dupe de son jeu ; c'est un mauvais acteur. En plus, souvent, il possède un médecin complaisant, qui lui signe des arrêts-maladie de plusieurs mois.
Dans la génération Z, ce comportement revient. Aux Etats-Unis, certains veulent être unique. Il faut se distinguer par son genre, son appartenance ethnique, ses pronoms, son régime alimentaire... Et ses maladies mentales, autodiagnostiquées, bien sûr. Ils veulent être des êtres fragiles et que la société s'adapte à eux et à leurs désires.
La souffrance mentale est souvent invisible et -heureusement- elle n'est pas constante. Un dépressif peut rire d'une blague vraiment conne et fondre en larme deux heures après. On peut faire un burn-out alors qu'on possède une charge de travail moyenne. Le malade sera d'autant moins crédible si c'est un homme blanc, a fortiori si c'est une force de la nature. On écoutera davantage une femme ou un "membre d'un groupe marginalisé".

Et votre manager ? Pour lui, un subordonné malade, c'est une catastrophe. D'autant plus qu'il est livré à lui-même. Seule solution : prendre en charge une partie de votre travail... Pour quelques jours.
Si vous êtes consultant, c'est encore pire. Le client a embauché un consultant pour qu'il ait une bonne productivité. Sinon, il aurait pris un quota ! Le commercial qui vous suit, il n'a pas le temps -ni la compétence- pour faire du social. Si vous êtes rejeté par le client, vous ne ferez pas de vieux os en inter-contrat. Le fameux double-licenciement.

En résumé, parler de votre souffrance au travail, ça ne fait qu'empirer les choses. Les soi-disant campagnes de prévention sont surtout là pour repérer (et dégager) ceux qui se cachent. Beaucoup préfèrent donc garder leurs problèmes pour eux.

lundi 3 juin 2024

Round 1 : fight !


Il y a exactement dix ans, j'évoquais la violence au travail. A l'époque, il s'agissait de conflits larvés, qui explosaient. Ce que l'on constate, aujourd'hui, c'est une société plus violente. Louis Pasteur disait qu'il "laissait sa religion au vestiaire". En théorie, les employés laissent ce qu'ils sont au vestiaire. En pratique, il y a importation des conflits externes sur le lieu de travail.

En 2017, à Charlottesville, des néo-nazis s'offrirent une retraite au flambeau. Les réseaux sociaux réclamèrent les têtes des participants. Puis ils firent pression sur leurs employeurs présumés, en croisant les informations. C'est le "name and shame" (désigner et rendre honteux.) Rebelotte en 2021, lors de l'assaut du Capitole. Les fauteurs de trouble furent outés et leurs employeurs, pressurés. Tant pis pour les homonymes ou les sosies de participants.
En France, il y eu le cas d'une employée d'écurie de course, en 2020. Elle s'était grimée en noire et s'était filmée en train de chanter Saga Africa. Une association antiraciste (dissoute depuis) avait divulgué son nom, intimidé son employeur et menacé quiconque la défendrait. Plus récemment, on a vu une militante RN, bénévole aux Restos du Cœur, écartée suite à un passage TV. 
Aujourd'hui, ce sont les étudiants de Columbia et de Harvard qui sont dans la ligne de mire. Au nom des mesures prises en place après Charlottesville, certains employeurs ont refusé les CV de militants pro-Palestiniens particulièrement actifs -voire haineux, voire antisémites-. Un retour de bâton assez violent pour une gauche naguère très active dans le "doxxing".

Aux Etats-Unis, les DRH de PME et d'ETI passent désormais les CV au peigne fin. Précision du "pronom préféré" ou du régime alimentaire, militantisme au sein d'associations identitaire ou communautaristes déclenchent des alarmes. Car un salarié aux opinions radicales troublera la tranquillité de l'entreprise. Au mieux, ce sera une Prima Donna, en permanence en conflit avec tout le monde. Au mieux, cela se finira avec un piquet devant l'entrée et au pire, par une fusillade.

La France se refuse à voir cela. Pour le droit Français, c'est "Louis Pasteur" : sur le lieu de travail, il n'y a ni race, ni religion, ni opinion politique. Le distinguo lié au sexe est tour à tour exigé (pour l'ESG) ou nié. Notons aussi qu'il y a souvent moins d'informations personnelles sur les CV Français. Donc moins de choses pouvant mettre la puce à l'oreille d'un recruteur.
Pour autant, environ 10 000 personnes sont fichées S (pour appartenance à la mouvance islamiste radicale, à l'ultra-droite ou à l'ultra-gauche.) Autant de personnes qui peuvent se voir refuser une habilitation pour travailler dans la défense, le nucléaire, sur un aéroport, etc. C'est l'un des rares filtres.
En théorie, le salarié-militant est protégé par le droit du travail. S'il se livre à des activités répréhensibles depuis son lieu de travail, il peut être sanctionné. En théorie aussi, le "doxxing" est interdit. Mais de plus en plus, des entreprises -voire les clients de ces entreprises- sont pris à partis, suite au message d'un salarié.

Les jeunes sont plus engagés et plus radicalisés que leurs ainés, ça a été vrai de tout temps. 20% des 18-25 ans considèrent la violence et les dégradations (casse, incendie...) comme un mode d'expression politique légitime. Qui plus est, ces jeunes ont grandi dans un environnement monocolore. L'entreprise est le premier endroit où ils feront face à des gens aux opinions différentes des leurs. Non seulement on ne leur a pas appris à accepter l'opposition. Mais parfois, l'adversaire est carrément considéré comme une menace existentielle, sinon une cible à abattre. Le conflit est inévitable. Or, le droit du travail sait sanctionner les altercations, mais rien n'est prévu pour prévenir la violence. Même les formations ne couvrent pas les conflits intra-professionnels pour des motifs extra-professionnels.
Les employeurs seront bien seuls, dans les années à venir, pour gérer tout cela...

lundi 27 mai 2024

Déso, pas déso, Elsa


Un jour, il faudra que je parle de Linkedin. Les posts y sont souvent consternant. Les gens ont tendance à survendre leur boite. Et puis, vous avez cette directrice du pôle projet d'un créateur de sites web.

Elle a écrit un post intitulé "j'ai essayé d'embaucher des hommes, j'arrête". Elle explique donc que volontairement, pour le recrutement de chef de projet, elle écarte les CV masculins. Parce qu'elle a décrété que les hommes ne répondaient pas au profil du poste.
Déjà, là, cela tombe sous le coup de la discrimination à l'embauche.

Sur le podcast Une bonne fois pour toutes, elle se présente comme "humoriste". J'imagine qu'elle était morte de rire en écrivant le paragraphe retournant les stéréotypes sur les femmes au travail. Bien sûr, elle ne réalise pas que les femmes compétentes sont les premières victimes des entreprises qui ne réfléchissent qu'en terme de pourcentages d'hommes et de femmes.

Orthographe inclusive, anglicisme (déso, pas déso)... On se doute à peu près sur quel bord de l'échiquier politique elle se trouve... Si vous en doutiez, il suffit de lire sa réponse à un commentaire, ci-après.
Mais à qui a-t-on vraiment affaire ? Son parcours est édifiant. Sur le scolaire, rien à dire : prépa, une année en Chine et une ESC. Mais après, elle a toujours été "cheffe" ! Même en stage, elle dirigeait une équipe. Puis, elle se lança dans la gestion de projet informatique. Au bout de quatre ans, elle s'est dit qu'elle était un peu short, techniquement. Donc elle passa trois modules d'informatique. Des formations en ligne de dix-huit heures. Et plus récemment, elle a effectué une formation de quatorze heures (à 1 500€ !) Et ça lui a permis de passer responsable des chefs de projet.

Si on veut faire des raccourcis, comme elle, on comprend qu'elle est avant tout commerciale. Elle est d'autant plus virulente qu'elle manque de légitimité. Elle vend de la création/refonte de sites web, sans y connaitre grand chose. Donc forcément, sous ses ordres, elle veut des yesmen (il y a deux mecs parmi les dix-huit chef de projet, donc déso pas déso.) Parmi les profils de chef de projet, on trouve une architecte d'intérieur, un journaliste, une assistante sociale, d'anciens dir' com', des pubards et seulement deux diplômées dans le numérique ! Forcément, ils ne vont pas la reprendre sur les termes techniques...
Je serais prêt à parier que tous ces gens-là ne sont pas hyper-compétents sur les estimations de temps, de budget et de ressources nécessaires pour un projet. Ils ont vendu la lune au client et derrière, l'informaticien doit faire avec. Mais presque tous ces informaticiens sont des mâles cis-het, donc on s'en fout, non ? On dirait Le meme de Sanglier Sympa.

Et bien sûr, aucune conséquence. Des captures d'écran ont circulé et l'auteur (auteure ? autrice ?) a fini par supprimer le post. Alors que si un homme avait écrit "j'ai essayé d'embaucher des femmes...", là, cela ferait les gros titres. La personne serait au mieux forcée de s'excuser, voire de démissionner.



dimanche 18 février 2024

Micro-manageur


C'est la plaie du management moderne. Le micro-management est la conséquence directe des politiques actuelles de management et de recrutement. Au quotidien, le N+1 souhaite être informé de chaque faits et gestes. Au mieux, il veut être en copie de chaque mail. Certains fournissent des templates pour tout : les mails, les PPT, les Excel... Au pire, le N+1 organise d'interminables weekly où vous rédiger tout ensemble... Et le soir (ou le matin), c'est un point sur vos actions !

Si les managers se comportent comme cela, ça a trois raisons :
1) L'équipe est sous-dimensionnée, en terme de profils. Ca, c'était très malin d'avoir écarté les seniors et de se montrer complaisant avec un fort turnover...
2) Si vous n'êtes pas derrière eux, en permanence, ils font des Snapchats et des vidéos TikTok (si, si !) Là aussi, vous pouvez remercier les RH qui privilégient le RSE et l'âge moyen sur la compétence et la motivation...
3) Le manager n'a que ça à faire. Le top management prend des décisions à huis clos. Le management de base se paupérise. Ce sont des exécutants avec peu de valeur ajoutée.

Un manager, ça doit décider, arbitrer, animer. Son domaine, c'est le moyen terme. Le micro-management, c'est de la navigation à vue. Les managers ayant de l'estime de soit et de l'ambition ont tôt fait de mettre les voiles. Il reste donc des personnes souvent transparentes, qui attendent le prochain salaire et gardent un œil sur Linkedin. Le plus ironiques, c'est qu'ils se défendent souvent de faire du micro-management.

Lorsque le micro-manager est face à un employé plus expérimenté, il commence par s'étonner. Incroyable : pendant les trois heures où j'étais en réunion cascading, le nouveau a bossé sur les choses urgentes ! Mais très vite, c'est le clash. Le micro-manager est incapable de lâcher la bride. Il reproche au nouveau de répondre au mail sans l'avoir consulté, de passer des coups de téléphone au lieu de faire des réunions Teams à trois, etc.
L'employé souffre. Il perçoit cela (à raison) comme de l'intrusion et un manque de confiance. Il va très vite vouloir partir. Et si c'est un externe, c'est le manager qui va le remplacer pour un employé plus docile. Sinon, il finira par rentrer dans le moule. Le micro-management étant infantilisant, lui aussi, il va surfer sur les réseaux sociaux et partir à 16h30, lorsque le N+1 sera pris...

lundi 25 décembre 2023

La réunion par Teams, cette plaie moderne

Ce blog va bientôt fêter ses 10 ans. Pourtant, curieusement, je n'avais jamais évoqué les réunions.

La réunion est consubstantielle de la vie en communauté. A partir du moment où les Hommes doivent vivre ensemble, il faut se réunir. Qu'il s'agisse de planifier, de décider, de faire le bilan... Les hommes des cavernes devaient se réunir avant de chasser le mammouth !
Forcément, la réunion est l'antithèse de l'action. C'est censément un outil, pas une fin en soi. Mais de tout temps, il y a eu des gens incapable d'agir. Nul doute que sur une tablette d'argile, un Babylonien s'est plaint de trop nombreuses réunions !

Avec les progrès technologiques, on a pu organiser des réunions où les protagonistes n'étaient plus physiquement ensemble. D'abord par téléphone, puis par visioconférence. Fut un temps où les grandes entreprises disposaient d'une "salle visio". Un amphithéâtre avec un grand écran. Ces salles ne servaient que pour les sujets les plus graves (et les arbres de noël.) D'autant plus que la minute de communication coûtait un bras...

Mais aujourd'hui, avec Teams, n'importe quel ordinateur peut organiser et participer à des visioconférences. Avec le covid et la généralisation du télétravail, cet outil est devenu l'alpha et l'oméga du travail de bureau.

Or, Teams est souvent utilisé à mauvais escient. Il faut dire que du jour au lendemain, il s'est généralisé. Et personne n'a été formé à son utilisation.
1) Le cas typique, c'est la réunion avec 40 participants. Le créateur de la réunion a invité des gens n'ayant qu'un lien ténu avec le sujet. La plupart des gens ne suivent pas. De toute façon, même si certains étaient plus assidus, il ne connaissent pas assez bien le sujet pour pouvoir participer activement. Du coup, lorsque l'animateur a besoin de vous, il doit faire le sémaphore. C'était le cas d'un certain Serge, dans une entreprise passée : "Giorgio, tu es là ? (...) Scott, tu es en mute ! (...) Gaëtan ? Gaëtan ? Il est en "occupé", quelqu'un peut le contacter ? (...) Benjamin était marqué absent, en début de réunion, vous savez s'il s'est connecté ?" Il y a parfois tellement d'invités que vous soyez présent ou absent, on ne remarque pas la différence... Et on vous note présent !
2) La réunion zombie. Untel a lancé une réunion récurrente sur tel thème. Les participants initiaux sont partis, mais ils ont transmis la réunion. Du coup, il y a plein de pastilles blanches. Cela signifie surtout que personne ne sait vraiment pourquoi on se réunit. Il faut croire que clore une réunion Teams, c'est tabou. Je n'ai connu qu'un seul animateur qui annulait des réunions ou disait à telle personne : "Je te retire de la liste, tu n'as plus rien à y faire."
3) C'est une variante de la 2) : la réunion qui fait du sur-place. Normalement, une réunion, ce sont des attendus, avec un responsable du livrable (ou "owner".) Oui, mais si la personne en question ne vient jamais ? Et si rien n'a avancé ? Très rarement, l'animateur va vérifier en amont que chacun a fait ses devoirs, quitte à annuler la réunion. Sinon, vous êtes bon pour la fameuse réunion de définition de la prochaine réunion...
4) La réunion "politique". L'animateur pointe les présents et "ça fait bien" d'assister à cette réunion. Y compris par rapport à des travaux avec de la valeur ajoutée, mais où il est impossible de se connecter (par exemple, une visite d'usine.) Dans certaines entreprises, vous avez fréquemment deux réunions simultanées. Alors vous choisissez celle où votre N+2 sera présent. Tant pis pour les sujets importants. Et plus généralement, au milieu des 1001 réunions, c'est difficile de discerner laquelle est vraiment importante.
5) Généralement, vous participez à des réunions organisées par des gens au même niveau que vous et que vous croisez pas ou peu. Alors pourquoi s'embêter ? Généralement, les gens se connectent, tout en travaillant sur d'autres sujets. Certains partent boire un café. D'autres arrivent bien en retard, mais à "30", il faut "basculer sur une autre réunion". Beaucoup se déconnectent sans prévenir.

Personnellement, j'avais un sentiment d'inutilité. J'étais devant mon écran, micro-casque sur les oreilles de 9h à 17h, assistant à un défilé de "yaka faukon". J'allais d'un "workshop" à une "weekly", puis à un "coffee", en attendant le "town hall". Et le soir, aucun sujet n'avait avancé de manière tangible.

vendredi 20 octobre 2023

Fooding

La dégradation du quotidien des bureaux est palpable. L'un des éléments, c'est la pause-déjeuner.

Avant, c'était un marqueur hiérarchique.
En ville, les non-cadres se pressaient dans un réfectoire. Chacun allait y ouvrir sa gamelle. Les cadres avaient des tickets-restaurants. Pour le bonheur des petits restaurants aux alentours. Les plus chiants faisaient des calculs pour dépenser très exactement un ticket, le midi. Le cadre ne pointant pas, il pouvait se permettre de trainer un peu. Quant aux cadres supérieurs, ils avaient "leurs" adresses. Les cinéastes aimaient d'ailleurs filmer des déjeuners d'affaire.
Même dans les restaurants d'entreprise, il y avait une hiérarchie. Le coins des cadres était délimité par une cloison. Quant aux dirigeants, ils disposaient d'une salle à l'écart.

La France est l'un des seuls pays où tout s'arrête entre 12h et 13h. Une véritable citadelle assiégée.
Les anglo-saxons n'ont pas de culture du repas collectif. On grignote toute la journée. Vers midi, éventuellement, on se fait livrer ou on se réchauffe un truc, dans son coin. Déjà, entre les végans, les flexitariens, les keto, les sans-glutens, ceux qui mangent halal ou casher, etc. chacun possède un régime unique. Impossible d'aller à un endroit qui satisfasse tout le monde.
Les prestataires doivent souvent payer un droit d'entrée, à la cantine. A quoi bon se ruiner pour une cuisse de poulet avec de la ratatouille ?
Les plus jeunes voient la pause-déjeuner comme une perte de temps et d'argent. Donc pas question d'aller au restaurant. Au grand dam des chaines qui s'installaient dans les ZI...
Enfin, avec le télétravail, on a cassé la respiration de la journée. On vous colle des réunions le midi. Même les jours de présentiel, vous êtes contraints de manger devant votre écran. D'ailleurs, souvent, il y a un participant qui mastique bruyamment...

A l'arrivé, vous perdez cette cassure à mi-journée. Ce moment extra-professionnel avec les collègues. Sans oublier le plaisir de manger des plats variés. Au lieu de ça, vous déjeunez devant un écran. Ou bien, vous allez manger seul, car chacun avait des plans différents. Certaines entreprises ont profité du Covid pour fermer la cantine. A quoi bon garder un espace, qui n'est utilisé que 2 heures par jour ? Un distributeur, ça suffit !
Et c'est un de ces riens qui montre que le plaisir, au bureau, est en chute libre.

lundi 7 août 2023

Tache zéro

Non, on ne va pas parler de lessive ou de programme informatique ! 

Je l'avais évoqué brièvement lors du "deuxième dernier jour" : le devenir du consultant senior en inter-contrat.

Le problème de l'inter-contrat

Dans le temps, le modèle économique des cabinets de conseil incluait les inter-contrat. Ils étaient perçus comme un vivier de talents qui seraient plus utiles dedans, que dehors. Les cabinets possédaient des plateaux pour inter-contrats, avec un protocole, une hiérarchie dédiée, etc. Le coût était inclus dans la facture de prestation ; un genre d'assurance-chômage du cabinet.

En supprimant les plateaux d'inter-contrats, les cabinets économisaient sur le foncier, le personnel sédentaire et cela se retrouvait (un peu) sur la marge. Le client était content et il optait pour le cabinet le moins cher (et ayant le moins de frais fixes.)

Et que faire des consultants en inter-contrat ?
Les juniors, c'est facile : ils démissionnent pour un rien! De toute façon, ils signent des CDI de chantier. Donc plus de mission, plus de CDI.
Quid des seniors ? Les cabinets se battent pour eux ! Les missions de seniors sont plus longues et avec une facturation journalière plus élevée (donc davantage de commission.) Pour recruter des seniors, les cabinets dégainent des CDI "tout court" et ils ouvrent leurs porte-monnaie. Mais en fin de mission, ça se complique. Les seniors possèdent souvent un savoir-faire spécifique et ils sont donc plus compliqué à recaser. D'autant plus que nombre de cabinets possèdent des relations trop superficielles avec leurs clients pour être vraiment à l'affut des opportunités de missions "senior".
Un consultant senior en inter-contrat, c'est une pile d'argent qui brûle, tous les jours ! Alors les cabinets ont une solution radicale : les taches zéro.

Un peu d'historique
Parmi les emprunts à la culture asiatique, les taches zéro sont l'un des moins glorieux.

Vers 1941, l'armée Impériale Japonaise remporta de nombreuses victoires en Asie du Sud-Est et en quelques mois, elle captura 150 000 militaires alliés. Pour les officiers Japonais, un bon militaire devait mourir au combat, plutôt que se rendre. Ces prisonniers étaient donc des "lâches". Il fallait leur faire regretter d'avoir choisi la vie ! Les nazis furent particulièrement cruels et violents envers leurs prisonniers Soviétiques ou Polonais. Néanmoins, le taux de mortalité était sept fois supérieur dans les camps Japonais. L'armée Impériale avait édité un doctrine pour détruire physiquement et moralement le prisonnier. La torture psychologique était théorisée. L'un des outils, c'était des taches sans intérêt. Comme de creuser un trou, le matin et le reboucher, l'après-midi.

Le groupe Daewoo naquit en 1967. Proche de l'autocrate Park Chung-Hee, le fondateur du groupe s'entendit très bien avec son successeur, Chun Doo-Hwan. Le métier d'origine de Daewoo, c'était le textile. Dans les années 80, Chun Doo-Hwan fournit au groupe des prisonniers politiques. C'était de la main d’œuvre gratuite et surtout, le groupe se chargeait de les "corriger". A l'approche des Jeux Olympiques de 1988, la police Coréenne rafla tous les gêneurs, mais aussi les SDF et les jeunes filles ayant fuguées (?) et ils finirent chez Daewoo, où ils furent brutalisés.
Quelques années plus tard, Daewoo implanta en France des usines de fabrication de téléviseurs et de fours à micro-ondes. Les employés français se plaignirent vite des méthodes des cadres Coréens, en particulier les "tache zéro" (zéro intérêt, zéro valeur-ajoutée...) C'était des punitions envers ceux qui ne remplissaient pas leur objectif ou qui s'absentait. La direction ne supportait pas les arrêts-maladies (même justifiés.) L'employé était alors "condamné" à n jours de tache zéro. Comme de nettoyer l'atelier, sans que ses collègues aient le droit de lui adresser la parole. L'objectif était de soumettre les employés et c'était directement issu du passé de l'entreprise.

Les taches zéro en 2023
Ne vous inquiétez pas, un cabinet de consultant ne demandera pas à ses inter-contrats de passer le balais ! C'est plus subtile...

Le but du cabinet de conseil, c'est de pousser dehors le consultant.

Cela commence par la mission inadaptée. "Une mission de neuf mois à Limoges ! Je sais que tu es Parisien, marié et que tu as des enfants. Mais tu dois y réfléchir. On est près à faire un effort sur ta prime quotidienne de 5€." Par la suite, les entretiens avec la hiérarchie débuteront par : "On t'a proposé une mission, que tu as refusé. Tu n'y mets pas du tiens."
Ensuite, on demandera au consultant d'effectuer des taches sans intérêt : tenir à jour un fichier, détailler une définition de poste. Le tout dans un délais court. Et à la fin, votre N+1 regardera à peine votre travail. Ostensiblement, il vous montre que vous vous êtes pressé pour rien.
On peut vous convoquer à des face-to-face pour le lendemain matin (pour être sûr que vous n’êtes pas parti en vacances.) Dans les cas extrême, on vous force à venir tous les matins à 8h et vous passez la journée à ne rien faire. Le personnel sédentaire du cabinet vous est forcément hostile : eux, ils travaillent et vous, cela fait x jours, x semaines, parfois x mois que vous ne faites rien. Et vous êtes là, sous leur nez.
La pression monte crescendo. Évidemment, lors des entretiens avec la hiérarchie, c'est vous le fautif. Surtout si on vous propose un seconde mission foireuse et que vous la refusez. Certains cabinets parlent alors de rupture conventionnelle, en vous donnant le minimum syndical. D'autres vous forcent carrément à démissionner. Ou plutôt, à vous "libérer".