Il y a exactement dix ans, j'évoquais la violence au travail. A l'époque, il s'agissait de conflits larvés, qui explosaient. Ce que l'on constate, aujourd'hui, c'est une société plus violente. Louis Pasteur disait qu'il "laissait sa religion au vestiaire". En théorie, les employés laissent ce qu'ils sont au vestiaire. En pratique, il y a importation des conflits externes sur le lieu de travail.
En 2017, à Charlottesville, des néo-nazis s'offrirent une retraite au flambeau. Les réseaux sociaux réclamèrent les têtes des participants. Puis ils firent pression sur leurs employeurs présumés, en croisant les informations. C'est le "name and shame" (désigner et rendre honteux.) Rebelotte en 2021, lors de l'assaut du Capitole. Les fauteurs de trouble furent outés et leurs employeurs, pressurés. Tant pis pour les homonymes ou les sosies de participants.
En France, il y eu le cas d'une employée d'écurie de course, en 2020. Elle s'était grimée en noire et s'était filmée en train de chanter Saga Africa. Une association antiraciste (dissoute depuis) avait divulgué son nom, intimidé son employeur et menacé quiconque la défendrait. Plus récemment, on a vu une militante RN, bénévole aux Restos du Cœur, écartée suite à un passage TV.
Aujourd'hui, ce sont les étudiants de Columbia et de Harvard qui sont dans la ligne de mire. Au nom des mesures prises en place après Charlottesville, certains employeurs ont refusé les CV de militants pro-Palestiniens particulièrement actifs -voire haineux, voire antisémites-. Un retour de bâton assez violent pour une gauche naguère très active dans le "doxxing".
Aux Etats-Unis, les DRH de PME et d'ETI passent désormais les CV au peigne fin. Précision du "pronom préféré" ou du régime alimentaire, militantisme au sein d'associations identitaire ou communautaristes déclenchent des alarmes. Car un salarié aux opinions radicales troublera la tranquillité de l'entreprise. Au mieux, ce sera une Prima Donna, en permanence en conflit avec tout le monde. Au mieux, cela se finira avec un piquet devant l'entrée et au pire, par une fusillade.
La France se refuse à voir cela. Pour le droit Français, c'est "Louis Pasteur" : sur le lieu de travail, il n'y a ni race, ni religion, ni opinion politique. Le distinguo lié au sexe est tour à tour exigé (pour l'ESG) ou nié. Notons aussi qu'il y a souvent moins d'informations personnelles sur les CV Français. Donc moins de choses pouvant mettre la puce à l'oreille d'un recruteur.
Pour autant, environ 10 000 personnes sont fichées S (pour appartenance à la mouvance islamiste radicale, à l'ultra-droite ou à l'ultra-gauche.) Autant de personnes qui peuvent se voir refuser une habilitation pour travailler dans la défense, le nucléaire, sur un aéroport, etc. C'est l'un des rares filtres.
En théorie, le salarié-militant est protégé par le droit du travail. S'il se livre à des activités répréhensibles depuis son lieu de travail, il peut être sanctionné. En théorie aussi, le "doxxing" est interdit. Mais de plus en plus, des entreprises -voire les clients de ces entreprises- sont pris à partis, suite au message d'un salarié.
Les jeunes sont plus engagés et plus radicalisés que leurs ainés, ça a été vrai de tout temps. 20% des 18-25 ans considèrent la violence et les dégradations (casse, incendie...) comme un mode d'expression politique légitime. Qui plus est, ces jeunes ont grandi dans un environnement monocolore. L'entreprise est le premier endroit où ils feront face à des gens aux opinions différentes des leurs. Non seulement on ne leur a pas appris à accepter l'opposition. Mais parfois, l'adversaire est carrément considéré comme une menace existentielle, sinon une cible à abattre. Le conflit est inévitable. Or, le droit du travail sait sanctionner les altercations, mais rien n'est prévu pour prévenir la violence. Même les formations ne couvrent pas les conflits intra-professionnels pour des motifs extra-professionnels.
Les employeurs seront bien seuls, dans les années à venir, pour gérer tout cela...