jeudi 18 août 2022

Les pires bureaux : 5) la start-up

Suite et fin de la série estivale sur les pire bureaux. On termine par la fausse-bonne idée à la mode. Autrement dit, l'enfer est pavé de bonnes intentions...

Imaginez, vous débarquez dans un quartier ultra-moderne. La station de métro vient d'être inauguré. Le site est flambant neuf, avec un food-truck bio et un simili-Starbucks, à l'entrée. Bienvenue dans le monde des start-up. Votre N+1, en jeans-basket, vous serre la main : "Bonjour, monsieur Durant... - Y'a pas de "monsieur Durant" ou même "d'Eric". Appelle moi "Rico" !" A priori, tous les indicateurs sont au vert, vous allez vous sentir bien, ici...

Premier souci : votre bureau ; vous n'en avez pas. La boite privilégie le nomadisme, afin d'optimiser l'espace. Après tout, tout le monde est en télétravail 2 jours par semaine, soit 60% du temps sur site (auxquels il faut retrancher les congés.) Il y a 150 bureaux pour 200 employés, soit 75% de remplissage.
Concrètement, le soir, vous prenez toute vos affaires et le lendemain, vous essayez de trouver un bureau dans la même zone... Mais le jour où vous êtes en retard, c'est la cata : après 9h30, c'est chacun pour soi... Car les 2 jours de télétravail, c'est un maximum : certains prennent 0 jours. Et les jours de "Town hall", mieux vaut être là. Certains vont jusqu'à laisser leur ordi, le soir, pour réserver une place. Et bien sûr, votre site accueille régulièrement des formations, ce qui signifie n personnes squattant tout un plateau, plusieurs jours...
Le site est plein ? Rico est cool, mais pas trop. Soit vous rentrez chez vous et vous posez un jour de télétravail, soit vous devez squatter une boquette (NDLA : un genre de cabine téléphonique moderne.) Maigre consolation : les managers ne sont pas mieux lotis.

Pour la machine à café, pas de gobelets : ce n'est pas responsable. Il faut apporter son mug et sa touillette. L'entreprise en fournit, mais ils ne respectent pas la nouvelle charte graphique de la société, alors ils ont été bennés. Le premier jour, on vous file le mug d'un absent, qui n'a pas été lavé depuis trois semaines...
Ah, l'écologie. C'est génial au quotidien. Pour économiser l'eau, il n'y a que six toilettes par étage. Et avec des chasses d'eau "écologiques" (qui ne chassent pas grand chose.) Donc à chaque fois, il y a un flotteur au fond de la cuve... A moins que le toilette ne soit pas carrément bouché (le PQ écologique étant plus épais.) Le chauffage, la clim ? Il faut économiser, pour protéger la planète ! Donc déjà, tout se coupe la nuit. Les lèves-tôt débarquent dans un frigo l'hiver et une étuve, l'été. Ensuite, le souffle asthmatique ne modifie guère le nombre de degrés. A vous les engelures, l'hiver et l'été, une bonne odeur de transpiration en fin de journée...
Et dire que lors du Town Hall, ils affichent fièrement les baisses de consommation énergétiques...

Au final, ce bureau flambant neuf est aussi agréable que la ruine. Sur l'indicateur "qualité de vie", les employés l'ont noté à 3/10. Mais soit vous tombez sur un patron qui s'y plait, soit le patron est au bout du monde. En tout cas, aucun travaux ne sera fait.
D'ailleurs, qui oserait dire : "Je m'en fous de la planète ! Je veux mon bureau ! Je ne veux pas voir le caca de mon prédécesseur aux toilettes ! Et je veux travailler avec une chaleur à 20° toute l'année !" Alors les gens s'expriment avec leurs pieds...

dimanche 14 août 2022

Les pires bureaux : 4) moving, just keep moving...


Suite de la série sur les pires bureaux... Jusqu'ici, j'ai évoqué des locaux où d'emblée, vous percevez un problème. Mais souvent, c'est plus subtil.

L'une des caractéristiques des PME et des ETI, c'est le faible turnover. C'est un avantage, car vous disposez d'employés qui connaissent bien l'entreprise. Mais de par leur taille, ces entreprises possèdent des possibilités de promotions limitées. Donc les gens effectuent le même boulot, années après années. Leur motivation s'émousse, donc leur productivité.

Solution trouvée : faute de promotion, on va organiser une rotation des bureaux ! Faites vos cartons, on part pour une nouvelle aile du bâtiment. On n'est pas en "mode dégradé". Donc à votre arrivée, il y aura tout ce qu'il faut pour travailler. Le problème, il est plutôt pour les réunions transversale dans une salle fixe. Cela veut dire que désormais, vous devez traverser tout le bâtiment pour y accéder !
Par contre, il faudra que vous retrouviez vos repères. Car la machine à café ou la cantine bougent également.
L'inconvénient pour les prestataires, c'est que les autres services bougent aussi. Après un certain nombre de missions, vous ne retenez même plus les noms (à quoi bon, dans n mois, vous serez ailleurs), juste les visages et l'emplacement géographique des uns et des autres. Donc, ça devient compliqué de garder le fil avec vos contacts hors du service. Où sont-ils partis ? Le cas typique, c'était la réunion informelle que vous aviez avec Untel, car son bureau (ou le votre) était sur le chemin de la sortie.

Mais il faut reconnaitre qu'aujourd'hui, avec le télétravail et la numérisation, ce n'est plus vraiment un souci. Ça l'était davantage au temps où chaque employé avait 2 ou 3 armoires d'archives (avec 1 qui n'arrivait pas à bon port...)

mercredi 10 août 2022

Les pires bureaux : 3) en mode dégradé

Qu'est-ce qu'il peut y avoir de pire que de travailler dans une ruine ? Travailler dans une ruine, avec des bruits de perceuse !

L'enfer est pavé de bonnes intentions. Le groupe X décide de déménager telle activité. Le site A était vétuste. Le site B va être entièrement réaménagé.
Seulement voilà, les travaux dans un immeuble de bureaux, cela peut prendre des mois, voire des années. Cela signifierait que pendant tout ce temps le groupe X devrait payer des loyers pour les bâtiments A et B. C'est trop cher !
D'où l'idée mirobolante : transférer l'activité de A, au fur et à mesure, sur le site B. L'idée est simple : dès qu'une zone du site B est achevée, on y envoie tel service de A. Le planning de déménagement est gravé dans le marbre. Parce que c'est bien connu : dans le bâtiment, il n'y a jamais de retards, hein ?

Donc, vous voilà débarquant sur le site B. En fait, les travaux ont pris tellement de retard que dans votre zone, la réhabilitation n'a même pas débuté ! Donc, vous vous retrouvez dans une ruine. Puis les ouvriers débarquent. Ah, la joie des concertos de perceuse à percussion le matin... Vous laissez des papiers sur votre bureau ? Un ouvrier va tester si son marqueur marche dessus. Ou bien, pendant votre absence, un sac de plâtre s'est crevé là. Car les ouvriers, ils n'ont rien à fiche de votre service. Ils déposent matériel et matériaux là où ils peuvent.  Sans parler des pauses clopes, de la radio ou des conversations...
Puis il y a les électriciens, avec des fils dénudés et des câbles par terre. C'est dangereux ? Oui, mais en tant que prestataire, à qui allez-vous vous plaindre ?
Et la plomberie... Ah, la plomberie, avec le travail sur la fosse sceptique. Afin d'avoir de bonnes odeurs... Puis le mail : "Salut, du 3 au 14, l'eau sera coupée et les toilettes, inopérationnels." Bien sûr, en fait du "14", ça sera plutôt le "18". Mais ne vous inquiétez pas, vous en recevrez beaucoup, des mails : plus de climatisation (lorsqu'une vague de chaleur est prévue), plus de chauffage (en pleine vague de froid), etc. Mais le chef de projet "regrette le dérangement" et la "gène occasionnée".
Le chef de projet en question, il vous écrit depuis le bâtiment A. A sa première visite, il vous rassure : la situation n'est pas tolérable et il ne l'a tolère pas. Il ouvre une page où vous pouvez déposer vos griefs. Mais pas question de toucher au planning : le mois suivant, un autre service débarque à son tour dans une zone où les travaux n'ont pas débuté. En fait, le chef de projet est un yesman. Les plaintes sont dirigées vers son assistante, une stagiaire de 18 ans, qui se prend coups de fil d'insultes, sur coups de fil d'insultes.

Et évidemment, en cas de black out, pas question de rentrer chez vous ! Au mieux, on vous force à poser des jours de télétravail (déduits de votre compte mensuel.) Au pire, on vous impose carrément de poser un jour. Notez aussi que le droit de retrait n'existe pas dans le secteur privé. Oui, vous devez travailler dans un bureau sans clim', par 30°, avec un ouvrier qui s'acharne sur un mur. Sinon, c'est abandon de poste. Et par contre, votre N+1 a comme par hasard un long séminaire dans le site A... 

Le plus rageant, c'est que lorsqu'enfin, la zone est à peu près terminée, votre mission de prestation s'achève.

dimanche 7 août 2022

Les pires bureaux : 2) la ruine

Le GPS vous dit "vous êtes arrivé". Là ? Ça doit être une erreur : l'immeuble a l'air d'une ruine, avec des carreaux cassés et il y a une carcasse de chariot-élévateur devant. Accessoirement, c'est le logo de la société d'il y a 20 ans... Pourtant, en vous approchant, vous voyez des gens à l'intérieur. Non, ce n'est pas une friche industrielle. C'est le lieu où vous allez effectuer votre prochaine mission de prestation. VDM !

Il y a 3 cas de figures :
1) C'est l'annexe du manoir. Lorsqu'il est devenu trop petit, ils ont construit cet immeuble. Ils y ont envoyé les fonctions "non-nobles". Autant au bâtiment principal, la moindre panne du Nespresso doit être traitée dans les cinq minutes, ici, le fait que l'ascenseur fasse des bruits inquiétants, on s'en fiche ! Bien sûr, l'entretien et la signature du contrat, ils ont eu lieu au manoir. "Il y est où, mon bureau ? - Dans l'autre bâtiment..."
2) La filiale mal-aimée. Les groupes industriels ont souvent une hiérarchie des sites. Les sites en province, avec une majorité d'ouvriers sont les plus mal lotis. Votre site va sans doute de plans sociaux en PSE et le groupe compte le fermer prochainement. C'est pour ça qu'ils font appel à des prestataires, afin de remplacer les gens partis, durant les derniers mois de la boite... Au moins, lorsque vous retrouverez le marché de l'emploi, vous pourrez dire : "J'ai bossé pour X."
3) Le fond d'investissement. La boite est le principal employeur du coin. Alors, régulièrement, elle se fait reprendre par des fonds d'investissements, qui quémandent des aides pour la relancer. Le fonds encaisse les aides, ainsi que toutes les liquidités de la boite. Et lorsqu'elle coule, un nouveau fond se présente...

Dans tous les cas, c'est horrible. J'ai travaillé six mois dans un bureau avec une vitre cassé. Dans une autre boite, des rats venaient nous dire coucou, à la machine à café. Et il y avait des seaux par terre, parce qu'il y avait des fuites. J'ai été en entretien dans une boite avec ds toilettes dignes de Trainspotting (j'ai refusé d'aller là-bas.) Et en discutant avec d'autres zappés, j'ai pu me rendre compte que chacun avait au moins une histoire comme cela...

vendredi 5 août 2022

Les pires bureaux : 1) le manoir

Faisons une série de l'été ! Normalement, tous les bureaux ont tendance à se ressembler. Parfois, votre lieux de travail est différent. "Différent", ce n'est pas forcément synonyme de "meilleur".

Commençons par le moins pire : le manoir du XVIIIe siècle. Cela arrive avec les industries un peu vieillottes, avec pas beaucoup d'employés, mais énormément d'argent (petit laboratoire pharmaceutique, banqu d'affaires, parfumerie ou maroquinerie de luxe...) Parfois, l'entreprise est basée là, car le manoir a été acheté par l'arrière-arrière-grand-père du PDG. Et parfois, c'est juste pour dire : "On est plein aux as, on s'offre un château !"
Vu de loin, c'est pas mal : vous avez l'impression de travailler dans le décor de Sissi ! Surtout que ce genre de manoirs sont situés dans les beaux quartiers.

Sauf qu'évidemment, au XVIIIe siècle, il n'existait d'immeubles de bureaux. Il a fallu réaffecter des pièces existantes. D'où des bureaux de 10m², mais avec 3 mètres de hauteur sous plafond ou des salles de réunion où l'on tient à peine debout.
L'escalier principal et l'ascenseur ne vont pas jusqu'en haut. Et au-delà du 2e étage, les niveaux ne sont plus plats ; il y a des marches partout. Ce sera très rigolo, le jour où vous devrez acheminer une charge lourde !
Ça a un côté labyrinthe. Les premiers jours, on dira : "Le bureau de Durand ? Tu vois la machine à café, celle qui est en-haut ? Derrière, tu as une pièce avec la photocopieuse. Puis tu vas voir un escalier. Ça débouche chez Martin. Tu dois traverser le bureau et tu as un couloir au bout et là, c'est le bureau de Durand."
Avec le temps, certains bureaux (archives, secrétariat...) n'avait plus d'utilité. Alors ils les ont vidés, sans rien mettre à la place. Du coup, certaines ailes sont quasiment entièrement désaffectées.
Aux XVIIIe siècle, on n'était pas très branché luminosité. L'hiver, dès 15h30, presque tout est plongé dans l'obscurité. Les nombreuses lampes n'arrivent pas à éclairer les recoins. Donc, si vous allez travailler dans l'aile quasiment-vide sus-citée, vous avez l'impression d'être dans un film d'horreur...

lundi 25 juillet 2022

The Office... En vrai !

Récemment, j'ai eu la mauvaise idée de regarder une vidéo YouTube sur The Office. Donc YouTube n'a pas arrêté de m'en recommander depuis.

The Office est en fait l'adaptation du sitcom Britannique éponyme. Il y a aussi eu une adaptation Française, Le Bureau, qui était assez passable. The Office suit la vie d'une PME Américaine et le ton est très noir : souvent, lorsqu'un personnage tente une aventure (sentimentale ou professionnelle), cela rate et il retourne à la case départ.

Bien sûr, les personnages sont caricaturaux. L'un des ressorts de la série, c'est qu'ils ont conscience de la présence de la caméra et qu'ils tentent de devenir des stars. En plus, elle a été filmée de 2005 à 2013. Certaines situations ont vieilli. Néanmoins (est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?), vous croiserez certains des protagonistes...

Michael Scott

C'est souvent votre N+2. Il a atteint le principe de Peter. Il a beaucoup de monde sous sa responsabilité. Mais il ne montera pas plus haut. Dans les réunions Teams "high level", c'est assez gênant de voir votre Michael se faire humilier par les gens du siège. En même temps, c'est pour cela qu'il passe du temps avec ses subordonnés. Par exemple : "Tu as mangé ? Les gens du siège -qui sont de passage- ont réservé un restaurant, mais pas pour moi." Il a envie d'être aimé et il adore les afters, pots de départ, etc.
Bien sûr, les ordres d'en-haut restent prioritaires. S'il vous a juré qu'il ferait blanc, mais que le top management dit noir, ça sera noir. A la longue, vous comprenez qu'il fait surtout du forwardage d'e-mails et qu'il n'a aucune prise sur la vie de l'entreprise à moyen terme. Aussi, même s'il dit être votre ami, si le top management lance une PSE, il vous mettra dans la charrette...

Jim Halpert

Dans la vraie vie, Jim ne serait pas marié à Pam. Non, il aurait épousé sa copine rencontrée à la fac. Elle n'était pas très mignonne, mais c'est elle qui l'a abordée. Alors il est resté avec et ils ont eu des enfants. Pour le boulot, c'est pareil. Il a fait plusieurs CDD. Là, on lui offrait un poste en CDI. Alors il a dit oui.

Au quotidien, Jim s'ennuie. Son quotidien le pèse. Le lundi matin, quand vous lui demandez : "T'as fait quoi ce week-end ?" Il vous répond, l'air vide : "Rien." Souvent, il se plaint de sa femme et de son boulot, mais il ne quitte ni l'un, ni l'autre.

Vous, en tant que zappé, vous êtes malgré tout un peu jaloux de Jim : il n'a connu ni le chômage, ni la solitude. A trente ans et des poussières, il a déjà remboursé un gros tiers du crédit de son appartement. Lui, il sait où il sera l'an prochain, alors que vous, au-delà de votre contrat, c'est l'inconnu...

En général, il finit par craquer. Beaucoup de Jim ont divorcé durant le confinement. Ce sont ceux qui font les pires crises de la quarantaine. J'en ai connu un qui a tout plaqué pour s'habiller en femme et devenir actrice porno transsexuelle ! Parfois aussi, c'est le corps, qui accumule le stress. Et là, ça se finit en gros pépin de santé.

Dwight Schrute

C'est un composite de deux personnages.

D'un côté, vous avez le Johnny Abbes. Il est persuadé d'être le bras droit du manager. Il va le tuyauter sur les faits et gestes de l'équipe. Comme souvent le manager est idiot, un Dwight peut volontiers pousser ses pions. Reste qu'il est nul en management ou en relation humaine, donc on ne veut jamais lui confier une équipe.
La série montre très bien les rapports complexes entre Jim et Dwight, tour à tour amis et ennemis, avec un rapport de force qui évolue.

Vous avez aussi le quasimodo. La personne qui gère seule une entité (archives, magasin d’entrepôt, service hygiène & sécurité...) et possède une grande autonomie. Son espace, c'est son entre. Surtout, c'est un vrai cas social. En général, vous n'allez le voir qu'en cas d'absolue nécessité, car il vous tiendra un long discours sur le dernier complot en vogue...

Ryan Howard

C'est un Rastignac. Ou plutôt, un mauvais Rastignac. Dès qu'il est promu, il se comporte en petit chef vis-à-vis de ses ex-collègues. Il n'est gentil uniquement lorsqu'il veut que vous fassiez ses devoirs. Surtout, il n'a aucune subtilité dans son jeu.

Les scénaristes de la série (notamment B.J. Novak, qui joue Ryan Howard) s'amusèrent à maltraiter l'ambitieux. En pratique, sa chute est souvent moins spectaculaire. Le Rastignac veut être calife à la place du calife et ça, forcément, ça ne plait pas au manager. La moindre incartade est un prétexte pour dégager le gêneur.

Stanley Hudson

C'est un Yves. On peut aussi y voir un Jim en plus vieux. C'est l'employé revenu de tout. Il n'a plus aucune ambition. Il ne fiche pas grand chose et ne s'en cache pas. De toute façon, il sait qu'il ne sera plus promu.

Souvent, il a ses têtes. Des collègues avec qui il aime rigoler. Pour les autres, par contre, il se ferme à double-tour. "Vous voulez un formulaire 1145. 1145-A ou 1145-B ? C'est à VOUS de me dire ce que vous voulez, pas à moi de décider." Pas que ça à foutre, y'a pas marqué "bureau de renseignements", là !

Kelly Kapoor

Vous croisez beaucoup de Kelly. 

Un parent ayant une longue maladie, un ex qui la harcèle, un promoteur immobilier véreux qui l'a escroquée, un enfant ayant besoin d'attention... Dans la vraie vie, Kelly se débat avec un problème personnel apparemment inextricable. Problèmes chronophages et qu'elle va s'empresser d'expliquer en détail à ses collègues. Cela signifie des coups de téléphones interminables et régulièrement, elle doit partir plus tôt/arriver plus tard, sans oublier les absences impromptues.

Au quotidien, c'est un enfer. En open space, vous devrez supporter les coups de fils sus-cités, avec des détails bien trop intimes. Surtout, Kelly possède une productivité nulle. Son manager tente d'ailleurs de la faire muter. A la moindre remarque, elle explose en larmes ou bien elle pousse un cri de colère. "Comment ose-t-on lui demander d'accélérer, alors que ça fait 3 jours qu'elle dort à peine la nuit ?" Et à l'arrivée, c'est vous qui faites le boulot. Souvent, c'est parce qu'il y a des Kelly que les managers embauchent des prestataire, afin d'assister la "Kelly".

Pam Beesly

A contario. Il n'y a plus de Pam Beesly, c'est l'un des points qui dénote l'age du sitcom.

La version Britannique de The Office fut créée en 2001. A l'époque, l'usage des outils numérique était limité et les téléphones portables avaient des forfaits mensuels d'une heure. Les réceptionnistes avaient un rôle-clef. Elles triaient le courrier et les fax, prenaient des messages en cas d'absence, etc. Dans certaines entreprises, elles servaient également d'assistantes commerciales. Dans les grands groupes, les réceptionnistes étaient intégrées au cercle des assistantes de direction. Une jeune réceptionniste pouvait espérer un job d'employée de bureau.

Aujourd'hui, presque toutes les communications extérieures se font par e-mails. Il n'y a plus de messages à prendre ou de gens qui appellent le standard afin de vous joindre. Dans les bâtiments modernes, l'accueil est à part et les employés doivent passer par une autre entrée. Covid oblige, la réceptionniste est cloitrée derrière une vitre en plexiglas. C'est une prestataire et elle n'a aucune interaction avec le reste de l'entreprise.

Creed Bratton

Au fil des saisons, les créateurs ont laissé dériver des personnages. Creed Bratton est l'exemple d'un personnage "hénaurme".

Le plus proche, c'est le keskifoula.
Souvent, c'est un ancien cadre supérieur, un ancien dirigeant d'une filiale disparue. Il a refusé un départ volontaire et compte tenu de son ancienneté, il couterait trop cher à licencier. Alors on l'a mis à un poste auquel il ne comprend pas grand chose.
Dans les PME, il est là parce que le chef l'a embauché. Et à prix d'or. Le patron est persuadé que c'est un génie ou un vieux sage.

Dans les deux cas, soit il ne fiche strictement rien, soit il lui faut une éternité pour faire la moindre tache. En tout cas, c'est un boulet.
Comme Creed, effectivement, ils ont souvent un parcours extraordinaire, avec des talents sportifs ou artistiques insoupçonnables. Comme Creed, ils ont souvent d'autres revenus en parallèle. Parfois, ils gagnent même davantage par ce biais, que par leur travail. Enfin, comme Creed, ils sont souvent d'une radinerie sans fond. Par exemple, à la cantine, ils prendront une petite assiette de salade qu'ils rempliront au-delà du raisonnable. Au lieu de payer 0,20€ de plus pour une grande assiette.

lundi 18 juillet 2022

Travail, congés : rappels historiques

Une amie m'a transmis une vidéo d'un psychologue sur les vacances. Une vidéo sympathique... Mais complètement fausse sur ses repères historiques.

Petit rappel, donc.

Emploi
Non, M. Moukheiber, l'emploi, au sens moderne du terme, n'a rien de nouveau.

Au haut-moyen-âge, la chrétienté se développe. Les baptistères font place à des églises, puis des cathédrales, voire des basiliques. Pour bâtir un château, le seigneur impose une corvée à ses ouailles. L'église, elle, n'a généralement pas de moyens coercitifs sur les populations. Elle va donc embaucher des ouvriers. Dans les archives des bâtiments, on trouve des donnés sur le nombre d'ouvriers, leur salaire (en numéraire ou en nature), la durée de leur travail, etc. Ce n'était pas un contrat de travail, mais davantage un onglet du budget prévisionnel de la construction. On est bien face à un emploi salarié.
D'ailleurs, en vue de travaux futurs, les abbayes, monastères, etc. vont développer la fabrication de denrées (comme la fameuse bière trappiste) destinées à payer les ouvriers.

Tripalium
Pour les Romains, le travail physique est un torture. D'ailleurs, le mot "travail" viendrait d'un instrument de torture, le tripalium [citation needed]. A Rome, les travaux physiques sont l'apanage des pauvres et des esclaves. L'objectif d'un Romain sont de progresser socialement, afin d'avoir des esclaves pour effectuer les travaux. Ainsi, il aurait du temps pour se consacrer à des activités nobles (politique, philosophie, art, etc.)
Près de deux millénaires plus tard, Karl Marx débarque en pleine seconde révolution industrielle. Il constate que les ouvriers travaillent dans des environnements dangereux (mines, haut-fourneaux...) Si le patron leur fournit logement ou équipements, il est déduit de la paye, ne laissant quasiment rien aux ouvriers. Enfin, la paye est quotidienne : si un ouvrier se plaint, qu'il tombe malade ou se blesse, on lui dit de ne plus revenir là. Pour l'historien, c'est évident que l'ouvrier exploité est le descendant de l'esclave de la Rome antique.
Nouveau saut dans le temps : nous voilà dans les années 70. Un chômage toujours plus important s'installe en Europe occidentale. Pour les néo-marxistes, les fautifs sont les patrons. Ils imposent des horaires à rallonge à leurs employés, au lieu d'embaucher. En réduisant la limite légale du temps de travail, on forcera les employeur à recruter. Cela aboutira, en 1999, à la loi Aubry sur les 35h. Avec l'idée sous-jacente que les gens occupent un emploi salarié par nécessité. En passant aux 35h, ils pourront davantage s'épanouir dans leurs vraies passions, comme notre Romain enrichi.
Toujours dans les années 70, James Tobin réalise que la création de richesse provient non plus sur la production industrielle, mais la spéculation financière. Il réfléchit à une taxe sur ces flux. Puis, dans les années 2010, l'idée est fusionnée avec celle du revenu universel. On reste dans l'idée d'un salarié contraint. Avec l'idée qu'en lui offrant de quoi vivre, il n'aura plus besoin de travailler et là, il pourra se consacrer à 100% à ses passions.

Labor
Au bas-moyen-âge, les villes se développent et elles ont besoin de gestionnaires. La noblesse se désintéresse du travail politico-administratif, transformant le tripalium romain en devoir d'oisiveté. Le clergé, omniprésent dans les campagnes, manque de moyens pour quadriller les villes. Qui plus est, depuis les croisades, les rois se méfient des ordres et autres confréries. Cela ouvre un espace à la bourgeoisie : frappe de la monnaie, perception de l'impôt, arbitrages judiciaires, transport inter-cité, gestion des grands projets d'urbanisme ou de génie civil et plus tard, financement d'expédition extra-européenne et d'installation de colonies... La bourgeoisie sait se rendre indispensable dans la société médiévale, puis à la renaissance. Dès le XIIe siècle, en Angleterre, les parlements sont ouverts à des représentants des familles bourgeoises. Certains veulent être anobli, mais d'autres tiennent à rester en dehors de l'aristocratie et à obtenir des charges par le mérite et non par hérédité.
En Grande-Bretagne, le XVIe siècle est celui d'une lutte continue entre la monarchie et une bourgeoisie qui rêve de république. En 1707, le Royaume-Uni devint officiellement une monarchie parlementaire, avec une chambre de communes unifiée. Peu après, les libéraux Adam Smith (fils d'avocat) et David Ricardo (fils de négociant) se font le chantre du travail. Ce travail, qui a permit à leurs familles de s'élever socialement et financièrement. Ils emploient le terme latin "labor".
Le libéralisme se développe aux Etats-Unis, avec le mythe du self-made-man. Cet homme venu de nul part, qui par son abnégation, atteint les sommets. C'est le rêve Américain. On aime y montrer les garages où des entreprises Apple, Mattel ou Harley-Davidson sont nés. On consacre même des biopics, comme The Aviator ou Jobs.

Vacances
Là où
Albert Moukheiber a raison, c'est que les vacances n'ont rien de naturel.

Aux XIXe siècle, l'aristocratie Européenne n'a plus qu'un rôle très symbolique et elle s'ennuie. Alors elle voyage. La médecine, alors balbutiante, conseille aux corps fiévreux de prendre "le grand air". Le train apparait et il va toujours plus loin. A la mer ou à la montagne, au terminus des gares, on ouvre des stations thermales ou des sanatoriums. On se pique également d'intérêt pour l'archéologie ou les arts. La haute bourgeoisie, qui vise à supplanter l'aristocratie, prend également le train. Au tournant du XXe siècle, l'hôtelier César Ritz, le chef Charles Escoffier ou Georges Nagelmackers (avec son Orient Express) tracent les traits d'un tourisme destiné aux ultra-riches, que l'on retrouve dans les romans de Thomas Mann.
A la même époque, l'école devient obligatoire. Or, à la ferme, les enfants aidaient leurs parents pour les moissons. On décida donc de fermer l'école l'été, pour qu'à la campagne, les enfants puissent continuer à participer aux travaux agricoles.
Les congés payés n'ont rien d'une revendication ouvrière. Les ouvriers vivotent et ont peu de loisirs. Que feraient-ils d'une semaine de repos ? Il n'y a pas vraiment de code du travail national. Les grandes entreprises possèdent leur règlement interne. C'est le temps des patrons paternalistes, qui doivent prendre en main leurs salariés. On soupçonne les ouvriers d'avoir une hygiène corporelle et une hygiène de vie déplorable. Des équipes visitent les logements de fonction à l'improviste.
En 1853, Napoléon III donne deux semaines de congés aux fonctionnaires. Plus tard, Léon Blum travaille dans un journal qui paye des congés à ses salariés. C'est sans doute ce qui l'inspire, en 1935, lorsque le Front Populaire impose deux semaines de congés payés. Néanmoins, ce n'est qu'après la guerre que les Français commencent à partir en vacances. De lubie culturo-hygiéniste, les congés deviennent un droit immuable, avec trois, quatre puis cinq semaines annuelles.

Les libéraux se sont longtemps arrachés les cheveux. En août, la France tourne au ralenti. La production baisse de 20% en moyenne. J'ai connu une entreprise où les salariés devaient solder tous leurs congés avant juin. Entre les RTT et les "jours de médaille", les bureaux étaient quasiment vides en mai !
Mais le patronnait a trouvé l'angle mort de la baisse du temps de travail. Désormais, les salariés étalent leurs vacances sur toute l'année. Fini, les quatre semaines en août et la semaine en février, pour le ski. D'ailleurs, certaines entreprises interdisent de prendre plus de deux semaines d'affilée. On s'offre donc un week-end prolongé, avec des visites au pas de course, pour ne rien louper. Et bien sûr, on garde un œil sur ses mails.

Conclusion
Tripalium et labor sont devenus copains. On travaille moins, mais on doit rester joignable en permanence. Votre patron vous tutoies, il vous autorise à partir à 15h le jour où votre plombier doit passer... Mais il est en permanence sur votre dos. Vous avez le droit d'avoir un hobby et c'est même conseillé, car à partir de 40 ans, cela risque de devenir votre seul revenu. etc.