vendredi 22 octobre 2021

L'inégalités des chances

Le monde de l'entreprise est pavé de bonnes intentions.

L'égalité des chances, (presque) tout le monde est pour. Embaucher et promouvoir quelqu'un, quelle que soit son sexe, son orientation sexuelle, son origine ethnique, ses opinions religieuses, etc. Dans les années 90, les entreprises anglo-saxonnes affichaient des chartes de "equal opportunity employer". En France, les quotas ethniques sont interdits. En revanche, depuis 2018, il existe un index de la présence féminine.

Mais cela reste insuffisant. Dans l'industrie, seul 29% des employés sont des employées. Les entreprises organisent des journées portes ouvertes à destination des femmes. Les DRH se plaignent d'une faiblesse de l'offre. Seules 8% des lycéennes s'orientent vers l'ingénierie ou les mathématiques. Alors qu'elles sont surreprésentées dans la santé.

Certaines voix accusent les entreprises de sexisme. Il faut dire qu'en cas de conflit, le pasdevaguisme prime, au détriment de la plaignante. Je me souviens d'un responsable du service après-vente soupçonné de harceler ses assistantes. J'en ai vu défiler trois en quinze mois (et il y en avait d'autres avant ma venue.) Solution trouvée par la direction : désormais, il n'aurait plus d'assistantes ! Néanmoins, de là à généraliser la situation à tous les services de toutes les entreprises...

L'index Egapro, imposé aux entreprises de plus de 50 salariées, s'inspire d'une pratique déjà courante chez les grandes entreprises. La pression est sur les dirigeants pour maximiser le nombre d'employées, voire de femmes managers.
A compétence égale, les DRH embaucheront une candidate. Mais faute de candidates parfaites, ils vont parfois piocher au fond du panier. Des postulantes a priori écartées (profil inadéquat, absence de motivation, attitude inappropriée...) sont malgré tout embauchées.
Certaines parviennent à déjouer les pronostics et à s'imposer. Et les autres ? C'est un tabou. Les Américains parleraient "d'éléphant dans la pièce" : on sait que le problème est là, il nous embête au quotidien, mais il faut l'ignorer. Dans l'industrie, vous voyez donc fleurir les "keskifoula". Des femmes pas du tout dimensionnées pour leur tâche ou qui se contrefichent de tout. En tout cas, leur productivité est insuffisante. On comprend vite qu'on a affaire à un quota féminin. D'ailleurs, elle a les félicitations de son N+1, qui va bientôt la promouvoir. La keskifoula sent souvent qu'elle n'est pas à sa place, mais si elle démissionne, l'index Egapro va baisser ! Alors il faut la chouchouter...

lundi 18 octobre 2021

Ubérisation, piège à cons !

D'ordinaire, on commence par "j'ai beaucoup de respect pour X, néanmoins..." et là, vous canardez X à l'arme lourde... Là, au contraire, je n'ai pas beaucoup de respect pour Gurvan Kristanadjaja. C'est un jeune journaliste de gauche. Très journaliste, très jeune et très à gauche.
Son Ubérisation, piège à cons vous tombe des mains. La prose est indigente, il ne connait qu'un seul groupe de verbe et uniquement à l'indicatif. On sent que l'auteur n'a pas vécu et pas lu grand chose. Qu'il n'a jamais travaillé dans un bureau ou pointé au chômage. Sa candeur, lorsqu'il découvre que Pôle Emploi ne propose pas de vrais emplois, est touchante. S'il ait bien un livre qu'il a lu, c'est Le Capital, de Karl Marx. Et encore, en diagonale. Car notre ami Gurvan part à l'assaut des patrons filous, face aux travailleurs exploités ! On a l'impression que sa mère va débarquer en disant : "Gurvan, viens mettre la table ! - Mais maman, je suis en train d'écrire un chapitre sur Amazon et comment c'est des exploiteurs sans scrupule !" La manière dont il prend à partie le patron de Cowash, un start-up visiblement au bord du naufrage, est complètement disproportionnée.

Malgré tout, Gurvan Kristanadjaja arrive quand même à brosser un portrait complet de l'ubérisation.
Le moteur, c'est ce qu'il appelle lui-même "l'économie de la paresse". Des jeunes qui ne veulent plus faire la cuisine, conduire ou flâner dans les boutiques. Et ils sont prêt à payer plus cher, pour que ça leur tombe tout cuit dans le bec.
Des start-ups ont flairé le filon. Pas de concept révolutionnaire. Au contraire, ce sont des services qui existaient depuis des lustres. Uber, c'est les bonnes vieilles voitures de Grande Remise. Uber Eat et Just Eat rappellent les livreurs de pizzas. Quant à Amazon, c'est un simple vépéciste. L'atout, c'est le marketing et des applis pour smartphone. Là où les entreprises de service attendaient le client, nos start-up sollicitent les leurs, en leur proposant des remises, de nouveaux services, etc.
L'autre innovation, c'est que ces entreprises n'ont quasiment aucun coûts fixes. L'auteur racontent comment ces start-up viennent dans les banlieues. Elles y trouvent des jeunes, souvent sans diplômes (et parfois repris de justice ou sans-papiers), attirés par l'indépendance et l'argent rapide. Les start-ups leur proposent un statut d'indépendant (Amazon faisant lui appel à de micro-sous-traitants.) Ce sont eux, qui achètent les voitures, les scooters et même les glacières siglées. Là encore, les start-up savent les motiver en montrant en permanence les juteuses commandes qui leur passent sous le nez. Nos banlieusards sont donc au taquet. Du moins, au début. Ensuite, ils déchantent : horaires à rallonge, rémunération en chute libre, absence de couverture en cas de maladie ou d'accident, etc.
Pour Gurvan Kristanadjaja, la solution, c'est une requalification de tout ces "indépendants" en CDI. Sauf que certains ne pourraient pas être employés et que d'autres n'ont pas envie d'avoir des comptes à rendre à un patron. Personnellement, je pense qu'il faudrait surtout réhabiliter l’entreprenariat. Que les gens ait envie de créer une entreprise pérenne, au lieu de se laisser charmer par le premier discours. Cela passe aussi par une éducation du consommateur, qui cautionne un système et se contrefiche des conditions de travail de son livreur.
Le dernier chapitre du livre est intéressant. L'auteur réalise que l'ubérisation touche de plus en plus d'emplois. Que des gens travaillent comme extras avec un statut d'autoentrepreneur. Ça pourrait être le début d'un livre et c'est hélas la fin du sien.

mercredi 13 octobre 2021

Johnny Abbes

"Johnny" Abbes (1924-1967) fut le terrible chef du renseignement militaire de la dictature de Trujillo, en République Dominicaine.

Mario Vargas Llosa l'évoque longuement dans La fête au Bouc. Personnage vulgaire, avec un peu d'embonpoint, Abbes était loin de l'image du tortionnaire rafiné hollywoodien. Il n'était pas particulièrement brillant, non plus. Mais il savait récolter des informations. Dès que quelqu'un bougeait le petit doigt, en République Dominicaine, Abbes était au courant. Il connaissait également toutes les intrigues et toutes les basses manœuvres autour du premier cercle trujilliste. Ainsi, bien au-delà de son rôle, ce minable était la clef-de-voute du régime. Abbes était bien conscient de son pouvoir et plus précisément de son pouvoir de nuisance, qu'il exerçait à mauvais escient. Il n'était même pas intéressé par le pouvoir ou l'argent. Il faisait chanter les gens juste pour son bon plaisir.

En lisant le livre de Vargas Llosa, j'ai immédiatement pensé à plusieurs personnes. Nous vivons dans un monde de managers intermédiaires avec des diplômes de sociologie ou des formations labellisées par de Grandes Écoles. Ces managers n'ont pas le bagage nécessaire pour prendre des décisions. Y compris lorsqu'il s'agit de choisir un nouveau pot à crayons. Alors ils s'appuient sur un Johnny Abbes. Un mauvais génie, sûr de son fait. Il peut mener son N+1, voire son N+2 à sa guise.
Au début, vous l'aimez bien. Enfin quelqu'un qui connait les dossiers ! Enfin quelqu'un avec une vision de l'entreprise ! Enfin quelqu'un avec une opinion. Le premier point énervant, c'est qu'il s'écoute parler.
Mais forcément, vous finissez par avoir des désaccords. Dans un groupe de travail inter-service, neuf personnes proposent blanc, il propose noir, alors le responsable opte pour noir. Pas gris foncé, noir. Vous le suppliez de faire un geste, il vous ressort un alinéa du règlement. Il a commis un faute ? Danger ! Vous avancez à pas de loups. Mais il retourne la situation : c'est de votre faute. Et lui, il n'hésite pas à mettre tout le conseil d'administration en copie du mail. C'est sa parole contre la vôtre. La parole de l'unique personne capable de faire tourner la boutique contre la vôtre. Et si vous êtes prestataire, stagiaire ou intérimaire, vous êtes d'autant plus en porte-à-faux (et Johnny Abbes en profitera...) Autant préparer tout de suite vos affaires...

vendredi 8 octobre 2021

Effet ketchup

Voici un article qui ne parlera pas aux plus jeunes : du ketchup dans une bouteille en verre. Bien sûr, ici, ce n'est pas un de ces sites surfant sur la nostalgie et le "vous avez connu...?" On va parler management.

La particularité du ketchup dans des bouteilles en verre, c'est qu'il défiait la gravité. Vous aviez beau retourner la bouteille, la secouer, etc. Rien n'y faisait. Le ketchup restait au fond. Parfois, par dépit, vous plongiez votre couteau dans la bouteille. Mais souvent, trop souvent, une grande quantité de ketchup tombait d'un seul coup, noyant votre assiette.

Par analogie, en bourse, on a commencé à parler "d'effet ketchup". D'après Google, c'est Lawrence H. Summers qui l'évoqua une première fois, en 1985. Il mentionna ainsi une "économie du ketchup". Concrètement, aucun ordre n'est passé et d'un seul coup, la corbeille s'affole.

Très vite, on a compris que c'était une image très commode pour décrire un évènement passant sans transition du calme absolu à la suractivité complète. Lorsque vous avez un manager Moïse, vous connaissez en permanence des effets ketchup. Il refuse d'agir, tant qu'il n'a pas d'aval. Mais une fois que l'ordre tombe, tout devient urgent !
Qui plus est, l'ordre tombe généralement à 17h15. Vous avez passé votre journée à faire du présentiel. Vous comptiez donc partir plus tôt et voilà qu'on vous impose une longue liste d'actions pour demain matin, dernier délais.

L'employé comprend très vite que son manager possède un pouvoir décisionnel limité ; il aura donc une confiance tout aussi limitée envers son chef.

mercredi 6 octobre 2021

Moïse

Voici un comportement managérial, d'abord décrit dans Dilbert.

Le manager Moïse, c'est celui qui attend des signes "d'en-haut". Non pas du Très Haut, mais du top management. Il ne s'engagera jamais, sans un aval préalable. 

Certes, le manager doit agir dans le respect des directives de sa hiérarchie. Mais le Moïse a généralement trois défauts :
1) Il n'osera pas pousser ses propres idées, par peur de se mettre en porte-à-faux. Il n'osera pas non plus solliciter trop souvent le top management. Un top management qui a, lui, tendance à croire que tout va de soi. Ainsi, pour un nouveau projet, le manager n'osera pas solliciter des embauches, tandis que le top management pensera qu'il existe une équipe dédiée, que l'on peut charger à 100%.
2) Même pour les problématiques day-to-day, le manager ne bougera pas tant qu'il n'aura pas de feu vert. Personnellement, j'ai ainsi du attendre deux ans avant d'avoir un nouvel écran d'ordinateur.
3) Le manager devient obsédé par la communication officielle. Pas question de laisser fuiter. Quitte à laisser une équipe travailler sur un sujet officieusement obsolète.

En bref, le manager Moïse est couard et opportuniste (donc souvent menteur, car il nie généralement de jouer les girouettes.) Vous ne pouvez pas comptez sur lui.

jeudi 26 août 2021

Le management intermédiaire, victime du Covid

Ces dernières années, les grandes entreprises ont réduit leur nombre de sites, le nombre de filiales, de lignes de produits, etc. Néanmoins, pas question de réduire le nombre d'échelons. La pyramide hiérarchique devint conique, voire en tronc d'arbre. Néanmoins, le management intermédiaire a souffert du Covid.

Le premier effet Kiss Cool, ce fut le confinement. Il fallait prendre des décisions, rapidement. C'était une question de vie ou de mort, au sens propre ! Mais les managers furent complètement dépassés. Une pandémie, ce n'était pas dans le manuel ! Et l'indécision est le principe de base du management intermédiaire. Pendant une semaine, le mur se rapprochait. L'Espagne et l'Italie prenaient des mesures de confinement. J'ai assisté à des réunions hallucinantes. La réunion où rien n'avance, c'est un classique. Le fameux "il est urgent de ne rien faire." Sauf qu'ici, avec le Covid, ce n'était plus de mise. Un soir, on est rentré chez nous. Les plus prévoyants -comme moi- avaient emporté leur ordinateur. Certaines personnes étaient en congé ou en déplacement, le jour J. Ce fut une pagaille.
Et ce fut la même pagaille au déconfinement. Le mot officiel, c'était "tout va bien". Certains managers, qui cherchaient à bien se faire voir, firent donc revenir des services entiers. Alors que d'autres, hantés par la mise en danger de la vie d'autrui, continuèrent de confiner leurs subordonnés.
Plus que jamais, j'ai eu un sentiment d'inutilité du management intermédiaire. D'un ramassis de trouillards et de yesmen.

Le second effet Kiss Cool, c'était l'entreprise en distantiel. Les employés en ont souffert. Mais ce sont les managers qui se retrouvent en porte-à-faux. Avec Teams, on peut désormais organiser facilement de très grandes réunions ; plus besoin de cascading. De plus, les gens vont à l'essentiel ; pas d’apartés pré-réunion. En conséquence, les réunions sont souvent plus courtes, de quoi libérer de la charge de travail. Or, le but d'une entreprise, c'est d'avoir des employés plutôt chargés. A fortiori avec les coûteux managers.
On semble s'orienter vers des organisations plus horizontales. L'avantage, c'est un information qui circule plus facilement. Après, cela veut dire que votre N+1 et votre N+2 ont doublé, voire triplé leur nombre de subordonnés directs. Plus questions de faire du service personnalisé...

lundi 23 août 2021

La fin du management Athénien ?

Une brève histoire du management. A Athènes, à l'origine, il y avait un polémarque. C'était grosso modo le ministre des armées de la cité. Lorsque la ville gagna en influence, on vit apparaitre des stratèges. A l'origine, c'était des délégués des tribus soumises à Athènes. Puis ils évoluèrent vers un rôle de chefs militaires. Ils dépendaient théoriquement du polémarque, en tant que représentant civil. Puis, l'armée athénienne grandit en nombre d'hoplites et se diversifia (lanciers, cavaliers, marins...) Athènes créa d'abord des taxiarques, pour gérer les différents corps et faire la liaison avec les stratèges. Les taxiarques eurent à leur tour trop d'hoplites sous leur responsabilité, d'où la création des syntagmatarques. Ensuite, on vit apparaitre des tamatarques et enfin, le lochagos. A ce moment-là, enfin, chaque officier, à chaque niveau, possédait un nombre acceptable de personnes à gérer.
Ce fut la base de la hiérarchie militaire. A la révolution industrielle, on calqua ce concept pyramidale dans l'entreprise.

Et c'est à peu près tout. Deux mille cinq cents ans après la Grèce antique, rien n'a bougé avec un conseil d'administration, des top managers, des managers intermédiaire et des chefs de service. Dès qu'un manager a plus d'une vingtaine de personnes sous sa responsabilité, on crée un rang intermédiaire.
Parfois, le chef d'équipe est un employé senior. Par exemple, un responsable commercial qui serait également en charge des grands comptes. Mais plus on monte et plus le rôle des managers se limite à escalader et à cascader. Durant les Trente Glorieuses, vous aviez de grands groupes, très diversifiés, avec de nombreuses implantations géographiques. Il fallait donc beaucoup de chef d'unités. J'ai travaillé dans l'un de ces grands groupes, qui s'était depuis restructuré, recentré, etc. Pourtant, le nombre d'échelons intermédiaires n'avait pas diminué.
Au fil de ma carrière, dans les entreprises où je suis passé, je reportais toujours plus haut. Les employés comme moi mettent les petits plats dans les grands à chaque entrevue (même téléphonique) avec les "gens hauts placés". Personnellement, à la sortie, j'avais surtout une impression de vide sidéral. A part leurs grands airs et les nombreux galons sur leur épaule, ils ne sont pas particulièrement brillants. Soit vous avez des micro-managers. Dans un compte-rendu de codir, vous aviez trois pages sur le réaménagement d'une salle de réunion (et c'était une petite salle pour dix personnes.) Soit, au contraire, ce sont des gens qui vivent dans une tour d'ivoire. Ils ne connaissent l'entreprise qu'à travers des Excel et des PPT. De 8h à 20h, six jours sur sept, ils ont le nez dans le guidon. Ils en sont devenus incapable de faire face à des problèmes pratiques.
Il faut bien comprendre que dans le management intermédiaire, la prise de décision n'est pas proscrite et encore moins encouragée ; elle est sanctionné. Celui qui sort du rang n'a que des coups à prendre. Si l'initiative fonctionne, il va effrayer son manager. Un rastignac est conscient de son incompétence. Un subordonné intelligent est un futur rival. Mieux vaut le nommer aussitôt manager de la filiale aux Kerguelen ! Si l'initiative est un échec, le manager sera un paria. Bientôt, on lui collera tous les maux de l'entreprise. Puis, tel le bouc de Kippour, aux temps antiques, il sera sacrifié et la vie reprendra son cours.

Avec les initiatives récentes, comme les ratios d'égalité et de diversité, on voit débarquer des personnes diplômées en sociologie. Au moins, elles ne feront de l'ombre à personne ! Le principal, c'est qu'elles savent cliquer sur le bouton "faire suivre" du mail...