lundi 7 août 2023

Tache zéro

Non, on ne va pas parler de lessive ou de programme informatique ! 

Je l'avais évoqué brièvement lors du "deuxième dernier jour" : le devenir du consultant senior en inter-contrat.

Le problème de l'inter-contrat

Dans le temps, le modèle économique des cabinets de conseil incluait les inter-contrat. Ils étaient perçus comme un vivier de talents qui seraient plus utiles dedans, que dehors. Les cabinets possédaient des plateaux pour inter-contrats, avec un protocole, une hiérarchie dédiée, etc. Le coût était inclus dans la facture de prestation ; un genre d'assurance-chômage du cabinet.

En supprimant les plateaux d'inter-contrats, les cabinets économisaient sur le foncier, le personnel sédentaire et cela se retrouvait (un peu) sur la marge. Le client était content et il optait pour le cabinet le moins cher (et ayant le moins de frais fixes.)

Et que faire des consultants en inter-contrat ?
Les juniors, c'est facile : ils démissionnent pour un rien! De toute façon, ils signent des CDI de chantier. Donc plus de mission, plus de CDI.
Quid des seniors ? Les cabinets se battent pour eux ! Les missions de seniors sont plus longues et avec une facturation journalière plus élevée (donc davantage de commission.) Pour recruter des seniors, les cabinets dégainent des CDI "tout court" et ils ouvrent leurs porte-monnaie. Mais en fin de mission, ça se complique. Les seniors possèdent souvent un savoir-faire spécifique et ils sont donc plus compliqué à recaser. D'autant plus que nombre de cabinets possèdent des relations trop superficielles avec leurs clients pour être vraiment à l'affut des opportunités de missions "senior".
Un consultant senior en inter-contrat, c'est une pile d'argent qui brûle, tous les jours ! Alors les cabinets ont une solution radicale : les taches zéro.

Un peu d'historique
Parmi les emprunts à la culture asiatique, les taches zéro sont l'un des moins glorieux.

Vers 1941, l'armée Impériale Japonaise remporta de nombreuses victoires en Asie du Sud-Est et en quelques mois, elle captura 150 000 militaires alliés. Pour les officiers Japonais, un bon militaire devait mourir au combat, plutôt que se rendre. Ces prisonniers étaient donc des "lâches". Il fallait leur faire regretter d'avoir choisi la vie ! Les nazis furent particulièrement cruels et violents envers leurs prisonniers Soviétiques ou Polonais. Néanmoins, le taux de mortalité était sept fois supérieur dans les camps Japonais. L'armée Impériale avait édité un doctrine pour détruire physiquement et moralement le prisonnier. La torture psychologique était théorisée. L'un des outils, c'était des taches sans intérêt. Comme de creuser un trou, le matin et le reboucher, l'après-midi.

Le groupe Daewoo naquit en 1967. Proche de l'autocrate Park Chung-Hee, le fondateur du groupe s'entendit très bien avec son successeur, Chun Doo-Hwan. Le métier d'origine de Daewoo, c'était le textile. Dans les années 80, Chun Doo-Hwan fournit au groupe des prisonniers politiques. C'était de la main d’œuvre gratuite et surtout, le groupe se chargeait de les "corriger". A l'approche des Jeux Olympiques de 1988, la police Coréenne rafla tous les gêneurs, mais aussi les SDF et les jeunes filles ayant fuguées (?) et ils finirent chez Daewoo, où ils furent brutalisés.
Quelques années plus tard, Daewoo implanta en France des usines de fabrication de téléviseurs et de fours à micro-ondes. Les employés français se plaignirent vite des méthodes des cadres Coréens, en particulier les "tache zéro" (zéro intérêt, zéro valeur-ajoutée...) C'était des punitions envers ceux qui ne remplissaient pas leur objectif ou qui s'absentait. La direction ne supportait pas les arrêts-maladies (même justifiés.) L'employé était alors "condamné" à n jours de tache zéro. Comme de nettoyer l'atelier, sans que ses collègues aient le droit de lui adresser la parole. L'objectif était de soumettre les employés et c'était directement issu du passé de l'entreprise.

Les taches zéro en 2023
Ne vous inquiétez pas, un cabinet de consultant ne demandera pas à ses inter-contrats de passer le balais ! C'est plus subtile...

Le but du cabinet de conseil, c'est de pousser dehors le consultant.

Cela commence par la mission inadaptée. "Une mission de neuf mois à Limoges ! Je sais que tu es Parisien, marié et que tu as des enfants. Mais tu dois y réfléchir. On est près à faire un effort sur ta prime quotidienne de 5€." Par la suite, les entretiens avec la hiérarchie débuteront par : "On t'a proposé une mission, que tu as refusé. Tu n'y mets pas du tiens."
Ensuite, on demandera au consultant d'effectuer des taches sans intérêt : tenir à jour un fichier, détailler une définition de poste. Le tout dans un délais court. Et à la fin, votre N+1 regardera à peine votre travail. Ostensiblement, il vous montre que vous vous êtes pressé pour rien.
On peut vous convoquer à des face-to-face pour le lendemain matin (pour être sûr que vous n’êtes pas parti en vacances.) Dans les cas extrême, on vous force à venir tous les matins à 8h et vous passez la journée à ne rien faire. Le personnel sédentaire du cabinet vous est forcément hostile : eux, ils travaillent et vous, cela fait x jours, x semaines, parfois x mois que vous ne faites rien. Et vous êtes là, sous leur nez.
La pression monte crescendo. Évidemment, lors des entretiens avec la hiérarchie, c'est vous le fautif. Surtout si on vous propose un seconde mission foireuse et que vous la refusez. Certains cabinets parlent alors de rupture conventionnelle, en vous donnant le minimum syndical. D'autres vous forcent carrément à démissionner. Ou plutôt, à vous "libérer".

mercredi 2 août 2023

Julie

Depuis une dizaine d'années, l'égalitarisme a vocation à ouvrir davantage certains secteurs a des populations jusqu'ici peu représentées (les femmes, les noirs, les Maghrébins...)

Les gens comme Yves en souffrent. Les tenants de l'égalitarisme se moquent bien de ces "mâles blancs fragiles". La société leur avait donné trop de place, alors ils doivent désormais laisser les autres passer devant !
Sauf qu'à vouloir faire de l'égalitarisme, on finit par desservir la "diversité". Avant l'égalitarisme, il y avait déjà des femmes, des noirs, des Maghrébins, etc. dans l'encadrement. Quid donc des "diversifiés" qui auraient percé malgré tout ?  Prenons le cas de Julie.

J'ai croisé Julie dans une précédente mission en prestation. Ingénieur grande école, d'origine Asiatique, ce n'est pas un quota et ça se voit ! Brillante employée, elle avait été promu à un poste de management fonctionnel.
Dans les directives "inclusives", on a réduit les prérogatives des postes destinés aux femmes. Donc, elle s'est retrouvé à ne quasiment rien faire, tandis que ses collègues masculins étaient surbookés. Elle saurait capable de faire plus. Elle aurait envie d'être bousculée et de transpirer. Mais le programme "diversité" ne tient pas compte de ses compétences ; en tant que femme, elle doit être maintenue dans un "safe space". Paradoxalement, ces directives "d'ouvertures" aboutissent à des mesures condescendantes, voire sexistes et racistes.
En prime, les perspectives ne sont pas bonnes. Car dans les entreprises, il y a désormais des carrières à deux vitesses. D'un côté, la progression au mérite et de l'autre, la progression afin de remplir les quotas de diversité. Charge à la direction et aux RH de définir si un poste de management est ouvert au "mérite" ou à la "diversité". Julie a été cataloguée "diversifiée". Donc, si elle passe manageuse, elle aura là aussi un poste "diversité".

Au quotidien, Julie a des relations tendues avec ses collègues. Forcément, ils n'apprécient pas de la voir buller, alors qu'ils sont au taquet. Enfin, dans un environnement très masculin, beaucoup se méfient des accusations de harcèlement. Donc interdiction de parler avec une femme, a fortiori séduisante, s'il n'y a pas de motif professionnel. Elle, que ce soit à l'école ou au boulot, elle a toujours évolué dans un environnement masculin. Il lui arrive même de faire des allusions olé-olé. Néanmoins, les hommes se tiennent à distance. Et comme elle a peut de travail, elle a donc peu d’interactions avec ses collègues.
Pour son anniversaire, elle avait apporté des croissants, mais personne n'était venu la voir.

mardi 25 juillet 2023

Les collègues les plus toxiques

C'est bien connu : l'enfer, c'est les autres. Voici quelques types de collègues qui vous pourrissent la vie. C'est un peu redondant avec le poste The Office en vrai.

Et rappelez-vous : si ça se trouve, c'est vous, le collègue toxique d'un autre !

1. Le boomer

C'est un ancien cadre supérieur. Pour sa dernière affectation, on l'a rétrogradé et mis sur une voie de garage. Il bulle en attendant d'avoir ses trimestres.

Il tutoie le conseil d'administration de la boite. Pour les procédures d'escalade, c'est un allié utile.

Pour le reste, il apporte surtout du négatif. En roues libres, il refusera souvent le moindre travail. Peu au fait de l'informatique, il va vous demander pour la 45e fois de l'aider à rechercher une commande. Et généralement, il est en permanence à côté de la plaque. Souvent aussi, ses opinions sur les femmes, les gays, les immigrés, etc. ne sont guère politiquement correct (euphémismes.)

La Social Justice Warrior

Très souvent, c'est une femme. Parfois, c'est un homme. En tout cas, très, très souvent, le SJW est issu des beaux quartiers, où il ne croise ni immigré, ni LGBT.

Le SJW a une mission. Il va "conscientiser" ses collègues. Se montrer plus tolérants et plus respectueux de l'environnement, où est le problème ?

Déjà, sa tolérance s'arrête à ceux qui pensent différemment. 

On pourrait parler longuement des ravages du wokisme en entreprise. Mais en fait, les SJW rappelent les syndicalistes de naguère : ils se sont autoproclamés représentants, sont reconnus comme tels par la direction, mais ils ne représentent qu'eux-mêmes et leurs collègues ne les écoutent pas.
On pouvait reprocher aux entreprises de placer les permanences syndicales au fin fond des usines, afin que les syndicalistes soient isolés. Ce qui expliquerait la déconnexion de ces derniers avec les réalités. Les "responsables de la diversité", eux, possèdent souvent un beau bureau au milieu de l'entreprise, mais ils ne sont pas davantage connectés.
On accusait volontiers les syndicats d'user et d'abuser des grèves et autres blocages, afin d'exister. Mais l'ADN du SJW, c'est le conflit. Par définition, le SJW n'est jamais satisfait des "progrès". Il a besoin du conflit pour pouvoir se poser en victime et lancer un "combat". Donc, au quotidien, il recherche en permanence cet ennemi. Mettant ses collègues sous pression, avec la complaisance de la hiérarchie. Si elle vous a dans le nez, vous êtes fini. Bien sûr, pas question de s'attaquer aux autres collègues toxiques : ils sont trop bien installés. 

La caillera

Oh que j'ai eu du mal à la trouver, l'illustration. On sent que c'est un sujet polémique...

Bien sûr, tous les noirs et Maghrébins ne sont pas des racailles et vice versa.

Votre N+1 l'adore. Ça y est, il a rempli son quota de diversité ! Pour le jeune des banlieues, ce qui compte, c'est le rapport de force. Il DOIT avoir le dernier mot. Aussi, il n'hésite pas à monter en épingle la moindre contrariété. Très vite, les insultes fusent, ramenant tous, sur le terrain personnel (sa mère, le coran, etc.)

Au quotidien, c'est usant. Il a le comportement et l'expression (écrite et orale) d'un CM2. Il s'affranchit du règlement de l'entreprise et il agit comme bon lui semble. Il désigne le gars un peu efféminé de la compta par "p'tit pédé", mais il trinque avec lui, au repas de fin d'année.

La hiérarchie est volontiers complaisante. Dans un monde du consensus mou, cette culture de la confrontation permanente est une bonne chose. Et puis, il y a de la condescendance : vu sa couleur de peau et sa culture, c'est normal d'agir comme cela, non ?

Le courant d'air

Il est toujours jamais là ! A la limite, que ses absences soient justifiées ou non, c'est secondaire. Vous le haïssez, point.

Cela fait trois mois qu'il enchaine les arrêts-maladie. A chaque fois, le médecin lui prescrit deux semaines de repos. Au bout des deux semaines, vous pensez qu'il va revenir, mais le vendredi précédent, lors de la réunion de service, le N+1 déclare : "Machin ne sera pas là. Il vient de prolonger de deux semaines."
On ne va quand même pas prendre quelqu'un pour deux semaines, non ? Donc, provisoirement, vous reprenez ses dossiers. Cela fait ainsi trois mois de "provisoire". Trois mois que vous bâclez votre boulot et celui de l'absent. Trois mois de frustration. Et ce n'est pas fini...

Le faux-ami

Dans les entreprises, vous avez parfois la grande gueule. C'est parfois le boomer ou la caillera. Le mec blagueur, qui dit ce qu'il pense et pense ce qu'il dit. Ça change !

Lorsque vous démarrez, vous finissez par l'imiter. Vous manquez de recul sur les réalités de l'entreprise. Vous ne remarquez pas que le faux-ami est surtout acide lorsque les personnes concernées ne sont pas présente...

Le faux-ami vous conseille de foncer dans le lard de la hiérarchie. Avant d'avoir signé un CDI/terminé votre essai. Au mieux, le faux-ami oublie que s'il peut s'offrir le luxe de la franchise, c'est parce qu'il est lui-même intouchable. Au pire, c'est lui qui tuyaute votre N+1 sur vos agissements...

Le Schtroumpf-grognon

Il est en permanence négatif. Lors des réunions de service, il mine le moral de l'équipe, à se plaindre longuement de tout. A l'écouter, il est cerné de problèmes insurmontables. Surtout, il est hostile à toute nouvelle idée, toute modification. Qu'il s'agisse d'un nouvel ERP, de redisposer les bureaux ou de changer de stratégie. Son mot d'ordre pourrait être "il est urgent de ne rien faire."
S'il est écouté par le manager, il torpillera méticuleusement votre projet. Vous avez passé des semaines dessus et en cinq minutes, il finit à la poubelle !

Le petit chef

Entre les managers "copain" et les managers "féminin", les employés se retrouvent souvent face à un vide. Qui peut arbitrer les conflits du quotidien ? Qui prend les décisions urgentes ? Or, la nature a horreur du vide. C'est donc là que le petit chef arrive !

Personne ne l'a désigné. Il s'est lui-même élu chef. En général, cela se cumule avec l'un des autres profils sus-cités (sauf le courant d'air, bien sûr.)

Au quotidien, le petit chef n'hésite pas à donner des ordres. Si c'est une racaille, il peut aller jusqu'à la violence verbale avec un collègue qui contesterait son ascendant. Si c'est un boomer, il s’appuiera sur ses responsabilités passées. Quitte à donner des conseils au PDG ! Si c'est un faux-ami, il se positionnera en intermédiaire incontournable pour "en parler au chef" (quitte à voler votre idée.) Etc.

Souvent, ce n'est que du vent. Le petit chef n'a ni l'envergure, ni l'intelligence d'un vrai chef. D'ailleurs, lorsque le vrai chef s'absente longtemps, le petit chef est vite à court de carburant. Mais en attendant, le N+1 s'accommode souvent de ce "N+0.5". Allant jusqu'à en faire son chouchou.

mercredi 12 juillet 2023

Handover

C'est un cas typique du consultant senior. Votre N+1 côté client vous annonce la fin de votre mission (qui ressemble peu ou proue à un entretien de licenciement.) Mais il y a un deuxième coup de couteau dans le dos : quelqu'un d'autre va prendre le relais. Et c'est à vous de former votre remplaçant.

Au début, vos collègues viennent vous réconforter : "Le salaud !", "il aurait dû te garder !" Puis votre remplaçant débarque. Généralement, c'est une femme ou quelqu'un "issue de l'immigration". Surtout, quelqu'un de plus jeune (donc moins cher) que vous. Et ils ont le statut d'interne. Votre N+1 vous disait que les embauches étaient gelées. En fait, elles sont surtout gelées pour les vieux blancs...

Il vous reste trois ou quatre semaines, avant votre départ définitif. Et au fil de ce "handover", votre motivation ira descendo...

Tout d'abord, il y a la phase d'installation. C'est sûr que lorsque vous êtes interne, tout est plus facile ! Vous aviez du attendre des semaines pour avoir accès à tel bâtiment ou à tel logiciel. Le nouveau, lui, il reçoit tout. Le client interne un peu chiant, avec qu'il faut planifier un call trois semaines à l'avance ? Il se montre d'un seul coup affable et disponible. Vous aviez découvert la société avec trois pdf de présentation ? Le remplaçant a droit à un séminaire de formation de plusieurs jours.

Au bout de deux ou trois jours, vous commencez à transmettre les dossiers. Forcément, vous êtes un peu jaloux et vous scrutez ce qu'il fait. "Pourquoi lui et pas moi ?" Votre N+1 vous disait que c'était un petit génie. Si c'est un quota, vous vous rendez vite compte qu'il est sous-dimensionné pour le poste. Lorsque j'ai dû assurer des handovers, je suis tombé sur des gens ayant des connaissances théoriques très limitées. Au mieux, le handover se transforme en cours niveau première année. Au pire, le remplaçant, démasqué dans sa médiocrité, devient franchement agressif, voire hostile.
Et votre N+1 refuse d'entendre les alertes que vous lui remontez. Pourtant, un employé qui n'est pas au niveau aura plus de chances de faire un burn out, voire de démissionner.

Puis il y a la bascule. Désormais, c'est lui qui est informé de l'avancé des sujets. Vous n'êtes plus en copie des mails et vous n'êtes pas invité aux nouvelles réunions. Il est impératif de se tenir informés de ce qui est encore dans votre scope, sous peine de travailler sur des choses déjà traitées par votre remplaçant... Voire annulée, lors d'une réunion où vous n'étiez pas. Car votre remplaçant est désormais très demandé et il considère qu'il n'a pas de comptes à vous rendre !
Vous êtes de plus en plus isolé. Vos collègues ont déjà tourné la page et ils ont intégré le remplaçant. Si c'est un "double-licenciement", personne n'est là pour écouter vos pleurnicheries. Si vous enchainez une autre mission derrière, vous avez vous aussi tourné la page. Ça vous fait bizarre, d'aller encore dans cet entreprise. En tout cas, vous en êtes réduit à faire du présentiel. Seul. Vous avez un sentiment d'inutilité. Vivement la quille !

dimanche 23 avril 2023

Window living

L'autre jour, j'avais quelques heures à tuer dans une ville de province. Ça m'a rappelé l'époque pas si lointaine où je postulais à des postes à la campagne...

J'ai déjà évoqué l'entretien dans une PME de province. Mais le fun ne s'arrête pas là !

Lorsque vous êtes jeune précaire, vous êtes rarement véhiculé. Sinon, vous possédez une vieille guimbarde bien incapable d'enquiller plusieurs centaines de kilomètres.
Donc, vous venez à l'entretien en train. Seulement voilà, dans de nombreuses villes, il n'y a qu'un train (à l'aller de Paris), le matin et un autre (pour le retour), le soir.

L'entretien, il est plié au bout d'une heure. Ensuite, vous avez n heures à tuer jusqu'au retour. En prime, parce que vous êtes au chômage et que le billet de train vous a coûté deux semaines d'allocations, vous n'avez plus un cent.
Vous voilà errant dans une ville industrielle, sans charme, où vous ne remettrez plus jamais les pieds. Les minutes sont des heures. Ce n'est pas juste du "window shopping". Non, vous faites du "window museuming", du "window mcdoing"... Vous êtes plus seul que jamais, dans cette ville qui vous a rejeté. Et puis, avec votre costume-cravate, ça se voit, qu vous êtes un étranger. Ça se voit, que vous êtes un raté. En théorie, cela fait toujours du bien de voyager. Mais là, c'est une souffrance interminable...

Puis, enfin, le train arrive et vous quittez cette ville pour de bon. L'anxiété ne redescend que sur le quai de la gare parisienne.

vendredi 17 février 2023

I.T.F.

Hollywood aime bien les histoires d'entreprises où un anonyme dévoile à son PDG une idée géniale, qui permet à l'entreprise de se développer. Du coup, l'anonyme est promu sur-le-champ...

En pratique, ça n'arrive jamais. Au contraire.

Imaginez, vous êtes impliqué dans un équipe projet. Il y a eu des moments difficiles, mais le projet est sur le point d'aboutir. Surprise : vous êtes bien au-delà des objectifs. Dans les stats de reporting, vous faites la course en tête.
Un projet qui réussit ? Le presta qui s'en occupe doit partir dans 3 mois, alors ça serait dommage que ce succès reste orphelin... Votre N+2, voire N+3 demande une présentation. Puis il commence à mettre son grain de sel. Et d'autres "huiles" commencent à s'impliquer. La liste des personnes en "CC" sur les mails s'allonge. Des gens qui n'étaient pas du tout impliquées jusqu'ici, voire qui vous avaient envoyé balader !
Une partie du travail du management intermédiaire consiste à repérer les success story de l'entreprise et s'en attribuer le mérite. En particulier les Rastignac.

Dans de rares cas, cela évolue dans le bon sens. Tel interlocuteur refusait de vous communiquer des informations et grâce à un mail d'en-haut, il s'est mis à filer droit !

Mais en général, le projet vous échappe complètement. Bientôt, votre N+3 et ses collègues organisent ds réunions sans vous. Ces inspecteurs des travaux finis s'attribuent le mérite de vos actions. Aussi, ils n'hésitent pas à vouloir faire pisser un peu plus le projet. Vous aviez gagné un marché de 3 millions ? En prétextant des frais supplémentaires, on peut gonfler la note à 4 millions, non ? Faute de connaissances du terrain, c'est la foire aux yaka faukon. Impossible de les contredire. Et ils ont d'autant moins de scrupules que c'est vous qui serez en première ligne, pas eux !
Et lorsqu'il y a une action, elle est pour tout de suite, maintenant. Votre manager se fait mielleux. Il voit bien qu'il dit blanc un jour et noir, le lendemain. Sans parler du PPT de 58 diapos qui vous a occupé, la semaine dernière, jusqu'à 1h du matin. Oui, mais les ITF, ce sont ses supérieurs et vous, votre mission se termine bientôt. Son empathie est feinte ; il a déjà choisi son camp.

Parfois, le management intermédiaire a vendu la peau de l'ours avant que vous l'ayez tué. Et l'ours vous a échappé. Tant pis. De toute façon, ils ont déjà repéré une nouvelle ITF à organiser...

Certains employés se plaignent de faire du présentéisme et de n'effectuer que des taches sans intérêt. Mais d'autres vous diront qu'au moins cela permet de rester sous le radar. Que les choses valorisantes sont une malédiction, pour les employés de base...

jeudi 2 février 2023

The man who wasn't there

J'ai posé un congé d'une journée. Rien d'exceptionnel. J'avais prévenu et remplit une demande en bonne et due forme. Par contre, j'ai oublié de décliner les réunions de la journée, dont un face-to-face.
Personne n'a remarqué mon absence. D'ailleurs, sur plusieurs compte-rendus j'étais noté parmi les "présent". Quant au face-to-face, mon interlocuteur s'est excusé de ne pas pouvoir y assister !

Dans le temps, c'était simple : vous deviez être présent, du lundi 8h au vendredi, à 17h. C'était manichéen : on était présent ou absent. Toute personne qui n'était pas physiquement à son bureau devait se justifier. Bien sûr, cela avait un côté pervers. C'était le temps du manager-pion, qui regardait par dessus votre épaule et des employés faisant semblant de travailler.
Avec les 35h, il y a eu "l'aménagement du temps de travail". Les gens qui s'absentaient un mercredi sur deux, les RTT, les horaires décalés... On passait d'horaires fixes à une obligation d'être présent physiquement dans l'entreprise pendant x heures par an.
 

Maintenant, on passe à une nouvelle étape : la déconstruction du temps de travail. Une transformation d'autant plus sournoise qu'elle fait l'objet d'aucune négociation nationale ; il n'y a que des lignes directrices et des garde-fous qui sont autant de vœux pieux.
Qu'est-ce que la présence, en 2023 ? Certaines entreprises autorisent 3, 4, voire 5 jours de télétravail. Vous croisez à peine vos collègues, au point où des "coffee" sous Teams remplacent la machine à café. Dans d'autres entreprises, il n'y a plus de bureaux dédiés par service. Les jours de présentiels, les employés s'installent où ils peuvent.
Surtout, les notions de "congés" ou "d'arrêts maladie" deviennent floues. Le covid a créé cette zone grise de "potentiellement contaminant pour ses collègues, mais en capacité de travailler". Grippe, angines, gastroentérites sont désormais synonymes de télétravail. En théorie, pour le télétravail, l’assurance ne vous couvre que si vous êtes chez vous. D'ailleurs, vous pouvez exiger de votre employeur à ce qu'il vous fournisse le matériel nécessaire (écran supplémentaire, casque audio...) à l’exécution de votre travail. En pratique, on tolère à ce qu'un employé soit où il veut, tant que le travail est fait. Lors des voyages avec quarantaine obligatoire, on autorisait le salarié à effectuer un télétravail durant la quarantaine et à ne prendre sur ses jours de congés qu'ensuite.
Au quotidien, vous avez souvent Outlook et Teams sur votre smartphone pro. Vous pouvez donc réagir rapidement, même hors des heures habituelles. Or, en entreprise, on glisse vite de "pouvez" à "devez"...

Le monde du tertiaire devient donc un monde virtuel. Dans les cas extrêmes, vous n'avez jamais vu vos collègues ou votre manager "irl". Les gens ne sont plus que des avatars avec des pastilles vertes, rouges, jaunes... Et plus rarement, blanches. Quel que soit le jour et l'heure, vous n'êtes jamais très loin de votre "bureau".
Ce monde-là ne donne pas beaucoup de droits aux salariés, mais pas beaucoup de devoirs non plus. Cela explique le fort turnover actuel. Néanmoins, ce n'est pas grave, on s'habitue à voir disparaitre des avatars et à en voir apparaitre de nouveau. L'entreprise devient un "lobby" de jeu en-ligne...