mercredi 16 juillet 2025

Le manager, ce travailleur pauvre


Au boulot, il est possible de payer par carte, à la machine à café. L'autre jour, quelqu'un avait oublié sa carte Visa Electron dans la machine. Je l'ai prise et je me suis approché d'un groupe de jeunes : "C'est à quelqu'un d'entre vous ?" Et à ma grande surprise, c'est une manager qui s'est approchée. Une manager avec une carte de retrait, avec autorisation systématique et découvert impossible ! Cette personne doit avoir une situation financière vraiment passable...

Il faut dire que financièrement, les Français sont dans une impasse. Les salaires stagnent et les dépenses augmentent en permanence, à commencer par les impôts.
Supposons que vous soyez cadre "senior". Vous avez un salaire annuel de 48 000€, ce qui est plutôt confortable... Du moins, en théorie. L'URSSAF permet de calculer les Pour que vous gagniez 48 000€, votre employeur dépense 65 215€. Votre salaire net, lui, est de 37 677€. Après impôts, il vous reste 33 787€, soit 2 815€ mensuels. De quoi payer un loyer de 930€.
Maintenant, vous êtes promu manager. La grille de salaire de l'entreprise est très rigide et vous voilà désormais à 50 000€. Pour vous octroyer une augmentation de 2 000€, votre employeur doit débourser près de 5000€, avec un total employeur de 70 920€ annuel. Votre net imposable, lui, il ne gagne que 1 500€, à 39 281€. Et votre salaire après impôt atteint 35 227€, soit 2 935€ mensuel. Pas de quoi déménager. Votre charge de travail a quasiment doublé, tout cela pour 100€ en plus par mois. 100€ qui seront sans doute absorbés l'année prochaine avec la révision de votre loyer.

Au-delà d'un certain niveau, lors des entretiens, vous évoquez à peine le salaire. Le treizième mois, les primes pour résultat, c'est fini. Après tout, cela financera surtout le Trésor Publique. La vraie question, c'est la voiture de fonction, la carte Total, le niveau des notes de frais, etc. D'ailleurs, le Trésor Publique les considère désormais comme des avantages en nature. L'inconvénient N°1, c'est qu'ils sont décorrélés de vos résultats. Que vous soyez un bon ou un mauvais manager, vous toucherez la même chose. D'où une tendance à l'aquoibonisme du kolkhoze : à rétribution égale, pourquoi se décarcasser ? L'inconvénient N°2, c'est que le salaire avec avantages en nature pris en compte par le Trésor Publique, c'est un salaire virtuel. Ce qui compte, pour votre banquier, c'est le chiffre en bas, à droite, de votre bulletin de salaire. Si vous n'aviez pas déjà contracté un emprunt immobilier, vous êtes marron.
En bas de l'échelle, on réclame aussi des avantages en nature : tickets restaurants, chèques vacances, pass culture... A défaut de gagner plus, on veut dépenser moins. Les crispations récentes sur leur utilisation démontre bien une préoccupation des Français. On en est au point où même la classe moyenne compte chaque euro.
En ce moment, vous avez le meme "c'est Nicolas qui paye". Il vise notamment les retraités, supposément adeptes de croisières au soleil. Beaucoup de retraités se défendent en disant qu'ils aident financièrement leurs enfants. En comptant vingt-cinq ou trente ans par génération, un retraité de soixante-dix ans a donc des enfants de quarante, voire quarante-cinq ans. On n'est plus sur des jeunes actifs qui ont besoin d'un coup de pouce ! On vit dans une France où des personnes ayant déjà une carrière professionnelle ont besoin d'aller quémander de l'argent de poche à leurs parents.

Lorsque j'ai démarré ce blog, les gens ne croyaient plus à l'ascension sociale par le salariat. Les plus jeunes rêvaient de l'argent facile de la télé-réalité. Puis il y a le temps des paris sportifs, des influenceurs. Récemment, j'étais dans une ville où le seul restaurant ouvert, c'était un casino. Je m'attendais à voir des mamies squatter les machines à sous. Mais il n'y avait quasiment que des jeunes de vingt, vingt-cinq ans.
Désormais, la question est de savoir si le salariat est financièrement viable pour un junior. A quoi bon travailler, si c'est pour avoir des fins de mois difficiles, même à quarante ans, même en temps que manager ? Telle cette femme avec sa carte Visa Electron.

mardi 15 juillet 2025

Mon voisin du jour


En ce moment, je suis en prestation dans une entreprise ayant de nombreux sites. Le plateau presta sert également d'espace de coworking pour les employés venus d'autres sites.

L'autre jour, j'avais ainsi un voisin pour la journée. D'ordinaire donc, il travaille sur un autre site. C'est un quinquagénaire qui travaille en mi-temps thérapeutique.
Son histoire, il la racontait à qui voulait l'entendre. Il y a quelques années, il était manager. Sa femme a été atteinte d'un cancer foudroyant. Il a du poser des congés pour l'accompagner dans ses derniers moments. Puis la femme de sa vie, la mère de ses enfants, s'est éteinte. Lorsqu'il a repris le travail, ses collègues n'ont exprimé aucune empathie. Quelqu'un - qui ne connaissait pas le motif de son congé - lui a demandé : "C'était bien, les vacances ?"
Ca l'a dévasté. Il est tombé en dépression et il effectua un long arrêt-maladie. Un an plus tard, il a repris une nouvelle fois le travail. Il a été muté et il n'est plus manager. Ses anciens collègues l'ont oublié.

En fin d'après-midi, son N+1 est arrivé. Particularité : ce N+1 est basé sur mon site. Le N+1 aurait l'âge d'être le fils de mon voisin du jour. Comme ils se voient rarement, mon voisin a raconté de nouveau son parcours. Le N+1 était gêné. Ils n'étaient pas assez proche pour qu'il veuille connaître sa vie intime. Plus prosaïquement, le N+1 voyait bien que l'autre était entre deux arrêts-maladie. Tôt ou tard, il va décrocher de nouveau et le N+1 devra confier sa charge de travail aux autres. Au moins, le N+1 n'accuse pas l'autre de simuler.
Ce voisin avait aussi un côté Yves. Sa carrière professionnelle est derrière lui, mais il doit attendre encore une bonne dizaine d'années avant la retraite. Nonobstant une énième réforme sur l'âge de départ. Ses anciens camarades l'ont abandonné. Il n'est plus qu'un boulet, qu'on se refile de service en service.

Le lendemain, j'ai vu une de ces séries US, à la TV. Le héros demandait à son chef d'être le témoin de son mariage. Tout le service était présent à la cérémonie. Le chef en question, très paternel, donnait au passage des conseils au héros.
Quel contraste avec cet éphémère voisin, complètement isolé et dont tout le monde se fiche ! Quel contraste aussi entre ce chef, patriarche charismatique et ce N+1 couard, qui a été formé à coups de vidéos !